Nous poursuivons la mise en ligne des interventions des orateurs du dernier webinaire, consacré au low tech en Méditerranée.
Pour mémoire, le webinaire du 1er juillet est le dernier d’une série de quatre, destinés à traiter de la rareté de ressources de Méditerranée, mais aussi des solutions, traditionnelles comme innovantes, qui s’appliquent à la recherche, à la conservation et à une gestion optimisée de celles-ci.
Voici la deuxième intervention de la dernière session, celle des solutions territoriales innovantes :
Intervention de Claire Le Ster : Lagazel, start-up fabrication de lampes et de panneaux solaires par les acteurs locaux
Bonjour à tous et merci une nouvelle fois à l’AVITEM pour l’invitation !
J’espère que je ne serai pas trop redondante par rapport à ma précédente intervention. Je fais partie des personnes qui n’étaient pas forcément familières avec le concept de low-tech, car c’est une notion sur laquelle on communique peu, voire pas du tout. Je trouve vraiment très intéressant de pouvoir mettre en perspective les actions engagées autour de ce concept.
Lagazel est une entreprise française qui fabrique des équipements solaires : des lampes solaires pour l’éclairage ainsi que des petits kits solaires pour la recharge de téléphones portables, avec une zone de prédilection, l’Afrique. Cette activité est destinée à apporter une solution aux 650 voire 700 millions d’Africains qui n’ont pas accès à l’électricité. La société Lagazel a été créée en associant l’expérience de deux frères. Le premier, Arnaud, avait une dizaine d’années d’expérience sur le continent africain au plus proche des besoins, et Maxence, le second, avait repris la direction de la PME industrielle française, une entreprise familiale qui existe depuis 3 générations. Sur cette slide (diapo page 3) je présente une partie de notre gamme de produits, des solutions d’éclairage et de recharge de téléphones portables permettant d’alimenter de petits équipements électriques. Les produits, conçus pour répondre aux besoins des populations africaines, sont fabriqués en métal, dans un objectif de durabilité. La possibilité de les réparer facilement est prise en compte dès leur conception : ils sont assemblés sans ajout de colle pour faire en sorte que l’on puisse facilement les ouvrir pour les réparer. Nous avons également opté pour des produits très simples à utiliser pour faciliter leur prise en main par les populations locales.
Sur la slide suivante (diapo page 4), je présente une innovation qui a justement été développée en réponse aux besoins du terrain. Ce sont notamment nos clients, ONGs et associations, qui nous ont fait remonter une problématique et qui nous ont incités à développer cette solution de charge collective. Il s’agit d’une station alimentée par un panneau solaire unique afin de recharger simultanément 40 lampes solaires. Dans ce cas, nous ne pouvons pas vraiment parler d’innovation technique mais plutôt d’innovation d’usage. En effet, il ne s’agit plus de confier un panneau solaire individuel à l’utilisateur, mais de mettre à disposition un système de recharge collective. Nous avons remarqué que ce passage de l’individuel au collectif crée un certain nombre d’externalités positives. Par exemple, la mise à disposition d’un chargeur collectif au sein d’une école ou d’une classe a comme effet premier de permettre aux enfants de recharger leurs lampes qui éclaireront leur chemin de rentrée le soir vers leur domicile. Ces lampes sont aussi utilisées pour étudier à la maison quand il fait nuit. De ce fait, les parents sont incités à envoyer leurs enfants à l’école pour avoir accès à la station de recharge, ce qui permet d’augmenter le temps qui est consacré aux études en journée et le soir et donc de faire progresser les résultats scolaires.
Au-delà des produits et des innovations d’usage dont nous venons de parler, Lagazel cherche également à innover dans son modèle de fabrication, avec la volonté d’aller plus loin dans le développement local. C’est, à ma connaissance, l’entreprise qui va le plus loin dans cette démarche de développement local sur le continent africain, avec comme objectifs de développer l’économie locale, l’industrialisation des produits et de pouvoir offrir un SAV de proximité pour assurer la durabilité des produits. Cette démarche induit un impact positif important, notamment en termes d’appropriation de la solution par l’utilisateur pour des solutions qui sont fabriquées localement par des Burkinabés. Ces caractéristiques nous différencient des autres acteurs du secteur.
Pour être plus précis, si notre modèle est bâti en premier lieu par le sourcing de composants, essentiellement en France, ils sont ensuite envoyés vers des ateliers africains de fabrication où le personnel est formé afin de pouvoir en assurer la conception. Précisons que les produits et les équipements de fabrication sont réellement développés dans le but d’une fabrication locale, comme on peut le voir sur la photo en haut à gauche (diapo page 5). Nous utilisons alors un petit outil manuel nécessitant peu d’énergie et qui permet de mettre en forme les pièces métalliques sur place. Sur la photo d’à côté, c’est un outil développé localement par les techniciens afin de pouvoir tester le panneau solaire au cours du processus de fabrication. Il y a donc en permanence des aller-retours entre l’usine sur le terrain et le bureau d’études en France : globalement les idées vont émerger du terrain et en France nous allons essayer d’industrialiser ces solutions.
Un autre point sur ce modèle de fabrication, c’est que nous avons formalisé ce que l’on appelle « l’atelier L-BOX » qui est un atelier clé en main qui permet de répliquer facilement la fabrication des lampes solaires dans une autre région ou un autre territoire. Tous les processus de fabrication ont été standardisés, la liste des équipements nécessaires est définie, les modules de formation sont lancés et, dans ce cadre, nous sommes en train d’ouvrir un 2ème atelier ce mois-ci au Bénin, à Porto Novo. Et puis nous allons aussi démarrer d’ici la fin de l’année une ligne d’assemblage de stations de charge à Thiès au Sénégal.
Au-delà de nos propres produits, nous proposons aussi des services de fabrication en sous-traitance, toujours dans l’objectif de développer la valeur ajoutée locale. Par exemple pour des produits qui sont aujourd’hui fabriqués en Chine, il est nécessaire de réfléchir à comment adapter le produit, son processus de fabrication pour que l’on puisse réaliser le maximum d’opérations localement.
Pierre Massis : modérateur
Est-ce qu’on peut imaginer que ces ateliers africains de sous-traitance, de réparation, de mise aux normes, pourraient être reconditionnés pour travailler sur les téléphones ou est-ce que ces matériels restent encore trop technologiques ?
Claire Le Ster : Lagazel, start-up fabrication de lampes et de panneaux solaires par les acteurs locaux
Il faut voir ce qui peut être fait sur place. Concernant de nombreux produits, seules des opérations d’assemblage avec des composants totalement importés peuvent être effectuées. D’un autre côté, nous avons conçu nos produits en métal parce que c’est une matière que l’on peut facilement transformer sur place sans avoir besoin d’énergie. D’ailleurs à ce sujet je tiens à ajouter que nos ateliers sont totalement autonomes : nous avons un petit outillage principal qui requiert de l’énergie pour le grattage des numéros de série et la traçabilité pour assurer la qualité des produits. Tout le reste fonctionne à partir de machines manuelles qui nécessitent peu d’énergie. Nous avons opté, dans la conception, pour le métal, pour les raisons indiquées. En ce qui concerne les produits en plastique, qui nécessitent plus d’équipements consommateurs d’énergie pour leur transformation, il faut étudier la faisabilité. Pour vous donner un exemple, on travaille actuellement sur des réfrigérateurs, avec un partenaire qui fabrique des frigos solaires en Chine. Nous sommes en train de voir comment nous pourrions adapter ce produit pour développer un maximum d’opérations locales en Afrique.
Patrice Auzet : Responsable du Groupe de Travail Société Civile Conseil Consultatif sur les déchets, Pays d’Aix
Mme Le Ster, je vous trouve fort modeste car ce que vous faites en Afrique c’est absolument fabuleux. Pour avoir aussi, de mon côté, essayé de faciliter les choses sur le continent africain, nous avions notamment mis à disposition des installations sur des écoles en brousse. Par le simple fait que les élèves puissent, en rentrant avoir de l’électricité pour faire leurs devoirs, le taux de réussite au certificat d’études est passé de 55 à 95%. Ce dispositif a ainsi garanti un accès à l’éducation amélioré. Cela a permis à de très nombreux élèves de pouvoir continuer leurs études et de s’instruire par la suite.
Pierre Massis : Modérateur
Effectivement, Mme Le Ster, cette innovation d’usage est majeure et mérite en effet d’être relevée. Comme en témoigne Mr Auzet, cela peut changer bien des choses. Peut-être d’ailleurs que cette initiative peut inspirer Mme Bert pour son action auprès des réfugiés ?
Marjolaine Bert : Fondatrice et présidente de l’association EKO! et du projet « Low-tech with Refugees »
Oui, c’est sûr, et cela m’offre la possibilité de partager notre expérience de fabrication de lampes au sein des camps. C’est très simple car il s’agit de partir sur la base d’une bouteille en plastique. Il faut savoir que, dans un camp de 25 000 personnes, on distribue 2 litres d’eau par personne et par jour, ce qui fait 50 000 bouteilles en plastique par jour. Evidemment, on ne sait pas quoi faire des déchets plastique que cela crée. L’une des nombreuses idées pour utiliser cette ressource est directement liée au besoin prégnant de lumière dans les camps. Il s’agit d’utiliser une petite ampoule LED que l’on scotche autour de la bouteille remplie d’eau, et à laquelle on peut également ajouter des morceaux de couverture de survie usagées qui trainent dans le camp afin d’améliorer sa réflexion. Ces lampes sont ensuite alimentées par des batteries que l’on récupère dans des ordinateurs cassés, batteries que l’on peut d’ailleurs recharger. Cela permet d’avoir de la lumière pour la soirée dans la tente ou dans le container dans lequel on dort. Grâce à cette intuition, on a pu en fabriquer des centaines. Il y a 5 ans, nous avons lancé une campagne de financement participatif qui permettait, en avançant 5€, d’offrir une « lampe » de cette catégorie et un power-bank pour recharger des téléphones. Il s’agit vraiment d’un système très simple à partir de matériaux locaux et low-cost, donc très accessible à mettre en œuvre.
Pierre Massis : Modérateur
Merci beaucoup Mme Bert pour ce partage d’expérience.
Pour prendre connaissance de la présentation de Madame Le Ster, c’est par ici