Nous poursuivons la mise en ligne des intervenants du troisième webinaire dédié aux ressources en Méditerranée. La thématique que nous avons décidé d’explorer concerne un sujet très problématique en Méditerranée, celui des déchets.
« Les déchets, une ressource ? » Si l’affirmation n’est pas immédiatement évidente, nous allons voir pourquoi et comment les intervenants de ce troisième webinaire, qui s’est tenu le 3 juin dernier, soutiennent cette position.
Pour mémoire, le webinaire du 3 juin est le troisième d’une série de quatre, destinés à traiter de la rareté de ressources emblématiques de la Méditerranée, mais aussi des solutions, traditionnelles comme innovantes, qui s’appliquent à la recherche, à la conservation et à une gestion optimisée de celles-ci.
Voici la cinquième contribution :
Intervention de Maxime Ducoulombier : Co-fondateur de Synchronicity
Bonjour ! Ce webinaire est passionnant pour un amoureux des déchets comme moi depuis maintenant deux ans. D’ailleurs, je suis de très près ce que fait la ville de Miramas, qui est assez extraordinaire sur notre territoire de la région Sud. Dans ma réflexion, j’ai tendance à ne pas trop vouloir réinventer la roue et je tends souvent à m’inspirer de ce qui fonctionne ailleurs et je pense que c’est un point important à garder en tête. En fait, il faut se demander :
- qu’est ce qui marche ailleurs ?
- quelles sont les spécificités de nos territoires ?
- comment adapter sur nos territoires ce qui fonctionne ailleurs?
Bien sûr, avant toute chose, je remercie l’AVITEM pour son invitation et je suis ravi d’être là aujourd’hui. Je suis, comme vous l’avez signalé, un des cofondateurs de Synchronicity, qui est une structure assez récente. En fait, tout est parti des Marches pour le Climat. En tant qu’entrepreneur, je me suis dit que je devais faire quelque chose, et c’est comme ça que nous avons commencé à organiser des marches qui ont rassemblé jusqu’à 15 000 participants. On s’est rendu compte que ce que l’on partage, c’est le cloisonnement et la verticalité de l’organisation alors que l’environnement, par définition, est un système circulaire et qu’il y a plutôt besoin d’un décloisonnement et d’une vision horizontale et partagée. Partagée notamment en intelligence collective et en inspiration.
De manière pompeuse, on se présente comme des « ingénieurs de solutions ». En fait, nous créons des passerelles entre des acteurs experts sur différentes thématiques qui nous tiennent à cœur et qui deviennent essentielles quand on parle de « perma-entreprise », ou d’économie bleue. Je vous recommande d’ailleurs, la lecture de Günter Pauli qui m’a beaucoup inspiré sur ces méthodologies. Celles-ci revendiquent l’obligation de considérer nos déchets comme des ressources et même d’aller plus loin que ça, puisqu’en réalité le recyclage est la dernière boucle de ce que l’on devrait déjà faire et qu’il est nécessaire de se demander avant cela comment éviter d’arriver à cette étape. Je vous donne un chiffre de 2017 : cette année-là nous avons absorbé 1000 milliards de tonnes de matériaux, soit 35 kilos de matériaux par jour et par personne, ce qui représentait déjà une multiplication par 4 en 50 ans. Ce qu’il faut comprendre, c’est que nous sommes de plus en plus nombreux, avec une consommation individuelle de plus en plus importante et, si l’on ne fait rien la situation va vite devenir problématique. Et la réalité, c’est que le recyclage ne nous permettra malheureusement pas de régler tous les problèmes. Rappelons seulement que, dans ces 1000 milliards de tonnes de matériaux, il y en a seulement 10% qui sont remis dans la boucle de l’économie circulaire.
On dit aussi souvent que nous sommes créateurs de flux coopératifs au service d’un territoire durable et je pense que la notion de territoire, qui a été si bien présentée par Mme Arfi tout à l’heure, est essentielle. Un territoire cela peut être un bâtiment, une école, une rue, un arrondissement, un quartier, une ville, une métropole, une région, un pays, et même la terre est un territoire en soi. L’objectif c’est de savoir comment on peut travailler sur ce territoire avec les acteurs qui le composent. Par exemple, cela n’a pas de sens de faire intervenir des grosses entreprises qui viennent de très loin pour traiter les problèmes des quartiers de Noailles ou de Belsunce[1]. Ce sont nécessairement des acteurs qui sont déjà implantés sur le territoire qui seront les plus efficaces pour parvenir à gérer cela. Un point important concernant Synchronicity est que, depuis 2 ans, nous avons fait beaucoup de POC (proof of concept). Nous sommes des gens très « axés terrain », même s’il est important de continuer à écrire car cela inspire les acteurs de terrain qui peuvent ensuite mettre en application. Une chose que l’on a remarquée, c’est que plus on fait de l’environnement plus on fait de l’emploi au final. En tant qu’entrepreneurs les chiffres ont un sens pour nous, et c’est pourquoi, les solutions que nous développons doivent entrer dans la catégorie « business rentable » car, par ce biais, les actions peuvent se pérenniser et se dupliquer. C’est essentiel, parce que les actions uniquement financées par des subventions restent fragiles et ne peuvent pas s’inscrire dans le long terme car le système s’enraye dès que les subventions s’arrêtent. En parlant de modèle rentable, il faut savoir par exemple que les citernes de Marseille dépensent 263 millions d’euro pour brûler leurs déchets. Nous nous concentrons sur la recherche de l’efficience d’usage : nous voyons qu’il y a beaucoup d’argent dépensé et nous demandons comment il serait possible de faire mieux avec moins de moyens. Malheureusement, très peu de déchets ont une valeur suffisante pour pouvoir en organiser la collecte et les insérer dans la boucle de recyclage.
Prenons l’exemple des cartons : même si les cours varient, les prix étaient à 120€ la tonne il y a deux ans, puis on est descendu jusqu’à 40€ quand la Chine a arrêté d’importer nos déchets. Maintenant le prix des cartons est remonté mais le coût de collecte reste bien supérieur à la valeur carton. Mais tout dépend de l’angle de vue et de comment on considère le carton. Peut-être faut-il le recycler en s’interrogeant uniquement sur sa valeur de collecte et de mise en conformité afin qu’il soit retraité. Cependant, je peux vous assurer que ce carton peut valoir jusqu’à 2000 € la tonne, tout simplement en en faisant du carton d’occasion et dans ce cas-là il y a un intérêt économique à sa collecte. Cette augmentation de valeur qui le fait passer de 100 à 2000€ vient de l’emploi, de l’emploi inclusif, de l’emploi ancré. Ces cartons sont préparés en enlevant les scotchs et en les classant par tailles. Ainsi, il devient plus commode de les réutiliser. C’est ce que fait « Carton Plein » à Paris. À l’origine, ils fournissaient les cartons au départ du camion de déménagement puis ils se sont rendu compte qu’après un déménagement, les cartons restent en très bon état. Comme les personnes les ayant utilisés ne savent en général pas quoi en faire, ils les récupèrent ; cela représente aujourd’hui plus de 60% de leur chiffre d’affaires. Le carton est une matière noble avec laquelle on peut faire beaucoup de choses. A Marseille on pourrait faire des quartiers et des villes tous les jours avec tous les cartons que l’on collecte. Mais on peut aussi en faire un produit de stockage ou autre.
Un point important c’est l’optimisation de la logistique, c’est-à-dire comment on organise la logistique de nos déchets. On se rend compte, avec la problématique chinoise évoquée plus tôt, de la difficulté de la désindustrialisation. Les industries ont presque totalement disparu de notre territoire, ce qui fait que lorsque l’on calcule le coût de traitement du papier, on s’aperçoit que ce n’est pas rentable puisqu’il faut l’envoyer à l’autre bout de la France pour qu’il puisse être recyclé. Le fait de ne pas avoir de centre de proximité pour pouvoir traiter et valoriser les gisements qui ont été collectés est un vrai frein au développement. Dans ce sens-là, j’ai plutôt tendance à préférer les microsystèmes plutôt low-tech pour que cela puisse être dupliqué partout. Je ne suis pas un expert sud-méditerranéen mais je serais très curieux de savoir comment cela se développe sur cette zone. L’une de nos grandes sources d’inspiration, c’est le « Plastic Odyssey », qui est un bateau d’exploration qui va partir de Marseille pour faire un tour du monde en commençant par la Méditerranée. Son objectif consiste à trouver des systèmes low-tech et open source pour pouvoir ensuite les diffuser. Ils identifient les technologies adaptées et faciles à mettre en œuvre et ils fournissent ensuite l’ensemble des plans et des méthodes pour les réaliser. Pour revenir à ce qui concerne la logistique, là où nous intervenons, c’est dans les centres villes urbains denses ainsi que les cœurs de noyaux villageois, en fait, dans tout ce qui est compliqué d’accès.
Depuis deux ans on a réalisé des POC sur différents systèmes, avec, comme point commun l’utilisation de la cyclo-logistique. Il ne faut pas considérer un vélo avec deux sacoches de la même manière qu’un vélo qui peut transporter jusqu’à 3 m3 et 250 kilos de charge. Nous travaillons sur la logistique du premier/dernier kilomètre, celle qui permet d’être au plus proche de ce que vous devez venir collecter, c’est à dire les gisements qui ont été préalablement triés. Mais cela vous permet aussi de livrer aux plus proche. Or, nous avons remarqué que le développement de la logique de circuit favorise l’alimentation de circuit court. Nous savons que l’alimentation produit beaucoup de déchets, du fait notamment des emballages nécessaires à son transport. De fait, plus le circuit est court, moins il y a d’emballages à traiter, le but étant de les réduire au maximum. Nous organisons des boucles d’économie circulaire avec, d’un côté, l’installation de spots, de préférence en centre-ville, où les producteurs locaux se rassemblent et sont ainsi très proches des lieux de distribution. De l’autre côté, de ce spot des livreurs en cyclo-logistique vont aller livrer ces produits en circuit court et en même temps, récupérer des déchets qui auront été préalablement triés par des acteurs économiques. Nous définissons l’acteur économique, à Marseille par exemple, comme celui qui génère 30% du volume des poubelles. Dans ce circuit court, on va d’une part déposer au plus près la production des commerçants et d’autre part, récupérer des cartons par exemple, pour les emmener sur un lieu de massification, où on va les trier le mieux possible, optimiser au maximum la valeur que l’on peut en tirer et quand il n’y a plus rien à en tirer, on peut les diriger vers la micro-méthanisation.
À ce sujet, une première mondiale va avoir lieu à Marseille, avec l’installation d’un micro-méthaniseur sur le toit d’un centre commercial. Il va permettre de transformer les biodéchets des restaurateurs de Marseille en méthane, lequel sera à son tour immédiatement transformé en électricité et en eau chaude déminéralisée pour alimenter un pressing. Ainsi, vous voyez comment, sur une boucle de 500 mètres, on arrive à livrer, collecter, massifier traiter et avoir l’optimisation la plus vertueuse possible du système. Pour aller plus loin, nous sommes en train de nous renseigner pour savoir si, à partir de biogaz, on peut avoir la capacité de produire de l’hydrogène et du carbone solide. Ces systèmes devraient pouvoir venir compléter à terme ces boucles vertueuses.
Un autre point important et malheureusement trop peu pris en compte dans les marchés publics, mais qui est majeur pour nous et qui se trouve parmi les critères ODD, concerne la valeur immatérielle de la transformation d’un bien par rapport à sa valeur matérielle initiale. Quand on parle de déchets, on évoque deux choses : un coût de collecte, souvent calculé en m3 et un coût de traitement en général calculé à la tonne. Quand le camion ramasse la poubelle, le calcul de ce qui est versé dans la benne s’évalue en m3. A Marseille, le coût de collecte d’un bac 660 litres est à peu près de 20€, ce qui signifie que chaque fois qu’une poubelle est vidée dans le camion, c’est 20€ d’argent public qui sont engloutis dans ce camion. Dès que le déchet est compressé dans le camion, il devient un ensemble compact et son coût se calcule à la tonne. Il en est de même du coût de traitement, la plupart du temps lui aussi calculé à la tonne. Nous pouvons, en retour, nous interroger sur la valeur immatérielle du bien retraité. Là, les modes de calcul sont variés ; nous avons choisi une méthode qui nous paraît logique. Si je reprends l’exemple de mes cartons, sans aller jusqu’à 2000€ la tonne, je sais qu’il est possible d’en faire des chips qui vont servir pour fabriquer de la litière équine. C’est quelque chose qui se fait déjà dans d’autres pays d’Europe : il s’agit de remplacer la paille qui coûte très cher, puisque désormais toutes les pailles sont traitées, par le carton qui se révèle être un excellent produit pour mettre dans les box des chevaux et ensuite l’intégrer dans la boucle de recyclage. La valeur créée n’est pas tellement supérieure au coût de recyclage du carton, en revanche elle permet de créer un emploi. C’est cela que nous identifions comme la valeur immatérielle. Certes, il n’y aura pas de bénéfice financier dans la transformation du carton d’origine en litière équine, il y aura « seulement » à le recycler puis le mettre sous presse. Mais, cette action aura aussi entraîné la création d’un emploi.
Pour revenir à la cyclo-logistique, nous discutions actuellement avec « coursier.fr », à Paris. Rappelons que cette société était quasiment inexistante il y a deux ans. Aujourd’hui, elle compte 350 coursiers en CDI et prépare un plan de recrutement de 650 collaborateurs d’ici la fin de l’année. En deux ans, elle aura recruté 1000 personnes à Paris pour faire de la logistique décarbonée sur le premier/dernier kilomètre. Et nous n’en sommes qu’au début. Même si les entreprises de coursiers sont nombreuses, cette explosion montre bien cette capacité à générer de l’emploi, de l’emploi inclusif, non délocalisable et multiple.
La variété des emplois qu’offrent le monde de l’économie circulaire et celui de l’environnement est très vaste. Tantôt, il va falloir travailler avec des maraîchers pour récupérer les tomates hors calibre ou trop nombreuses par rapport à des pics de production. Petit aparté, il faut savoir qu’il y a 20% de la production alimentaire qui disparaît sur pied en Europe parce qu’elle ne correspond pas aux critères de taille, de format, de couleur… ou parce qu’il y a trop de tomates en même temps, ce qui fait que le prix de la tomate ne permet pas une collecte rentable. Tantôt on va aller faire de la collecte à vélo, ou encore, on va réparer des vélos, qui sont de plus en plus complexes avec l’irruption de l’électronique embarquée. C’est cette multitude de métiers inclusifs qui va permettre de retrouver de la cohérence territoriale.
Pour conclure, j’aimerais insister sur ce que disait Mme Arfi de la municipalité de Miramas, en reprenant ses mots clés : intelligence collective, faire-savoir et implication. Revenir aussi sur la notion d’éducation à l’école, d’acculturation, qui devrait être à l’origine de tout. Pour moi, l’école est le centre du village et les énergies, comme les programmes, devraient se concentrer sur les écoles. Le manque de moyens n’est pas une vraie raison : Synchronicity a tenté un POC sur plusieurs écoles de Marseille. Nous avons notamment travaillé avec un groupe scolaire de 1500 élèves dont près de 1000 demi-pensionnaires. L’établissement dépense quasiment 50 000€ par an pour la gestion de ses déchets. En apprenant aux élèves à faire simplement le tri du carton et des bio-déchets, on a réussi à diviser la note par deux. Donc de l’argent il y en a, il faut juste savoir bien l’utiliser. Les écoles sont essentielles car c’est la génération de demain et les enfants qui y étudient sont d’excellent vecteurs de communication auprès de leurs parents. C’est beaucoup plus compliqué de concerner les adultes, comme les étudiants d’ailleurs, qui sont les plus mauvais trieurs de France. Former les enfants va leur permettre de devenir les ambassadeurs du tri auprès de leurs parents. Je sais aussi qu’une école exemplaire va se construire à Miramas. Les paroles sont utiles mais ne peuvent pas remplacer les actes. Sur le sujet de la mise en pratique, la ville de Miramas est très en avance.
Dernier point, le Congrès mondial de la Nature se tient en ce moment à Marseille. Ce sera le plus gros événement mondial sur les questions environnementales, avec 10 000 scientifiques, des chefs d’Etats ainsi que des entreprises privées, vectrices de solutions. Il est important de ne pas laisser de côté les grosses entreprises, même si elles ont des passés industriels qui peuvent être perçus négativement, mais plutôt les accompagner au changement, à la transition écologique. Et puis, pour la première fois dans ce Congrès, il y aura un Espace Génération Nature, conçu comme un espace destiné à accueillir le grand public pour découvrir des solutions pratiques et réalistes. Le Ministère nous a attribué un grand stand au sein de cet Espace où seront rassemblés les spécialistes de la question de la gestion des déchets, des ressources, pour présenter des solutions.
Vous êtes tous les bienvenus pour venir découvrir nos solutions, dont le « Cocotarium ». Il s’agit d’une entreprise qui met en place des poulaillers intelligents permettant de traiter les biodéchets au sein de villages communaux. Je peux vous assurer, pour avoir regardé l’ACV de leur produit, que c’est exemplaire et cela marche extrêmement bien pour un coût de traitement très limité. Je viens de perdre ma poule, elle est morte de son bel âge il y a quelques jours. Ma poule mangeait l’ensemble des bio-déchets que nous, à 4 personnes, nous produisions, plus tout ce qui est tonte de l’herbe, etc. Ne sous-estimons pas la puissance de la poule dans sa capacité à gérer parfaitement nos déchets, à amender nos terrains pour avoir de magnifiques arbres fruitiers, et puis à produire des œufs.
Merci pour votre attention.
[1] Quartiers de Marseille (note du transcripteur)
Pour prendre connaissance de la présentation PPT de Monsieur Ducoulombier, c’est par la