Nous poursuivons la mise en ligne des intervenants du troisième webinaire dédié aux ressources en Méditerranée. La thématique que nous avons décidé d’explorer concerne un sujet très problématique en Méditerranée, celui des déchets.
« Les déchets, une ressource ? » Si l’affirmation n’est pas immédiatement évidente, nous allons voir pourquoi et comment les intervenants de ce troisième webinaire, qui s’est tenu le 3 juin dernier, soutiennent cette position.
Pour mémoire, le webinaire du 3 juin est le troisième d’une série de quatre, destinés à traiter de la rareté de ressources emblématiques de la Méditerranée, mais aussi des solutions, traditionnelles comme innovantes, qui s’appliquent à la recherche, à la conservation et à une gestion optimisée de celles-ci.
Voici la septième contribution :
Intervention de Mounia Bouali : Architecte, docteure en urbanisme, spécialiste de la problématique oasienne
Bonjour à tous, je suis ravie d’être parmi vous et de participer à ce troisième webinaire dédié à la gestion et à la valorisation des déchets. Je suis architecte, docteure en urbanisme et travaille sur l’espace oasien saharien, principalement mozabite. Mon propos va s’articuler autour de deux principaux points. Un premier sur la gestion des déchets dans l’habitat oasien vernaculaire au M’Zab. Ce dernier est représentatif de l’habitat saharien, essentiellement, à travers l’emploi du palmier dattier, la valorisation des déchets végétaux et des déchets organiques permettant une économie circulaire. Puis dans un deuxième temps, j’aborderai brièvement ce qui se fait actuellement en Algérie, à travers les principales actions portées notamment par l’AND (Agence nationale des Déchets), prolongée par des actions de start-ups engagées dans le recyclage et la valorisation des déchets, un secteur en pleine expansion aujourd’hui.
La région du M’Zab, communément appelée Ghardaïa, est une oasis composée de 5 ksour et de leurs palmeraies respectives. Ces oasis de vallée sont implantées sur un site rocailleux et obéissent toutes au même schéma d’implantation : un ksar, ensemble aggloméré d’habitations, comme on peut le voir sur cette diapo (page 3), entouré de murs d’enceinte et implanté sur une éminence rocheuse, avec une palmeraie située en contrebas, proche du lit de l’oued, afin d’être près des couches aqueuses facilitant le développement d’une activité agricole.
Le palmier dattier (diapo page 4) occupe une place centrale dans la vie traditionnelle oasienne. La datte a constitué pendant plusieurs siècles la base alimentaire de ces sociétés mais aussi sa base économique puisque cet aliment, produit par les ksouriens, populations sédentaires qui pratiquent l’activité agricole, était vendu ou échangé contre des produits dont seuls les nomades disposaient. C’est ainsi tout un système d’échanges et d’activités économiques qui s’est installé entre le sédentaire ksourien et le nomade, avec une économie circulaire qui est à la fois à l’échelle de l’oasis mais aussi d’une envergure beaucoup plus importante étant donné que les nomades se déplacent sur des centaines de kilomètres.
Traditionnellement, toutes les parties du palmier dattier étaient utilisées, rien ne se perdait tout se transformait. Au-delà des différents usages du tronc et des palmes, toutes les autres parties avaient une utilisation particulière. Une part de sous-produits et de déchets végétaux était également utilisée dans la fabrication de produits artisanaux, dans le recyclage ou servait simplement de combustible. Ces utilisations ne concernaient que les arbres morts, en fin de vie ou récupérés dans des bâtisses démolies, puisqu’ il était interdit de couper un palmier ; il était en revanche possible de le déplacer. Nous sommes donc d’emblée dans une démarche de récupération, de recyclage et de valorisation des déchets. À titre d’exemple, le pollen reconnu pour ses nombreux bienfaits était utilisé pour le renforcement du système immunitaire, le traitement de certains troubles digestifs, mais aussi dans la fabrication de certains cosmétiques, etc. Le régime, une fois que l’on avait récolté et trié les dattes, était séché puis pouvait être utilisé comme balai. La sève du palmier dattier était et continue à être utilisée dans la production d’une boisson locale qui s’appelle le « Legmi ». Le pétiole était lui aussi utilisé comme combustible, ou encore comme base à sculpter. Le rachis ou « nervure du palmier » était de même utilisé comme combustible mais également dans la fabrication de mobilier. Pour ce qui est des feuilles, elles sont également utilisées comme combustible, comme la plupart des déchets ainsi que dans la vannerie ou dans la sparterie, c’est à dire la fabrication d’objets à partir de fibre végétale. Les racines, quant à elles, sont utilisées dans la fabrication des briques de terre, pour construire des murs de clôtures ou les habitations de la palmeraie. Ces dernières étaient intégrées au mélange pour lui donner plus de cohésion et de solidité avant de sécher au soleil. Il y a aussi les noyaux de dattes, qui sont trempés ou broyés et qui servaient de nourriture pour le bétail. À ce sujet, il y a un témoignage que j’ai toujours gardé en tête d’un agriculteur qui m’expliquait que les noyaux de dattes moulus servaient de pansement gastrique ce qui rassurait les propriétaires des chèvres sur ce qu’elles pouvaient brouter.
En plus des usages cités du palmier dattier et leur place dans la chaîne du recyclage, il y a tout un circuit de récupération, comme cela a été mentionné par Mr Tellai précédemment, autour des animaux d’élevage : les poules avec la consommation de déchets organiques, mais aussi les chèvres qui se nourrissent de dattes abandonnées ou tombées au pied des palmiers. D’ailleurs, les chèvres s’en nourrissent essentiellement après la période annuelle de la récolte des dattes qui s’étend à peu près de septembre jusqu’à novembre, et participent à l’élimination des parasites et insectes qui trouvent refuge dans les fruits abandonnés et qui risquent d’attaquer le palmier. De même, le témoignage d’un agriculteur au sujet de l’urbanisation des palmeraies sahariennes, rapportait la présence de problèmes phytosanitaires dus à la disparition progressive des animaux d’élevage dans ces espaces, et que l’on traite aujourd’hui à grands renforts de produits chimiques, chose qu’il regrette à la fois d’un point de vue écologique et d’un point de vue économique.
Il existe aussi tout un circuit de récupération de matières sèches provenant de la vidange des latrines domestiques et publiques et qui servent d’engrais dans les jardins et dans la palmeraie. Rappelons que dans les habitations traditionnelles il n’y a pas d’eau courante et par conséquent des toilettes sèches sont utilisées.
Concernant le domaine de la construction, comme vous pouvez le voir sur cette page (diapo page 5), ce sont le « stipe » ou le tronc de palmier avec les palmes, nervures et feuilles comprises, qui sont essentiellement utilisés. Dans la maison traditionnelle, le stipe sert de poutre. Il fait en moyenne deux mètres et, même si la longueur du palmier est beaucoup plus importante, il se trouve que c’est la longueur qui permet une meilleure résistance et qui conditionne la profondeur des pièces et même l’architecture de la maison. Le stipe est également utilisé dans la menuiserie et dans la production de mobilier, portes, tables, tabourets, etc. Le stipe peut être scié dans le sens de la longueur en 2, 3, ou 4 parties et être débité en planches assez grossières d’une épaisseur d’environ 3 mm pour l’utiliser ensuite dans la menuiserie. La palme peut être utilisée entière ou réduite à la nervure pour la réalisation de plafonnage comme nous pouvons le voir sur cette photo, mais également dans les jardins de palmeraies pour créer des séparations ou des haies. Parfois, le tronc de certains arbres fruitiers peut être utilisé en patère ou également dans la réalisation de plafond.
Après la présentation de ce produit multi-usage que constitue le palmier, je propose de donner quelques détails sur les déchets. Leur collecte dans le ksar se faisait et se fait encore à dos d’âne. Ce dispositif est imposé par l’étroitesse des ruelles mais surtout par la topographie, comme nous l’avons vu dans la précédente photo. Aujourd’hui, on retrouve cette problématique également dans les centres anciens où les camions et voitures n’ont pas nécessairement d’accès. Comme cité précédemment, les déchets organiques du ksar étaient automatiquement transférés vers les jardins, donc vers la palmeraie pour servir d’engrais. Comme nous l’avons vu à travers la présentation précédente, il y a un certain nombre de pratiques qui ont été reprises et adaptées pour les habitants de Tafilelt avec l’éco-parc qui rappelle l’esprit ksar/palmeraie. On se rend compte finalement que les habitants ont toujours eu recours à cette pratique de recyclage des déchets organiques, bien que le contexte évidemment soit complètement différent et que l’on soit face à de nouvelles dynamiques.
La diapositive de la page 5 montre l’utilisation du tronc de palmier. On peut également voir comment on réalise les arcades en utilisant les nervures de palmes qui épousent la forme que l’on veut donner aux arcades : elles servent de coffrages et sont noyées dans la construction.
À Ghardaïa, comme dans l’ensemble des villes algériennes, il y a un travail de sensibilisation qui est très important autour du déchet, comme nous avons pu le constater dans le cas de Tafilelt, où ce travail est mené avec un public ciblé, notamment, les écoles. Cet engagement vis à vis de l’environnement est principalement porté par la société civile à travers les différentes initiatives déjà présentées et qui reposent sur un travail de sensibilisation et de formation mené également par les différentes institutions étatiques.
Au niveau national il y a également un travail fourni par l’AND, l’Agence Nationale des Déchets. C’est un organisme qui a été créée en 2002, placé sous la tutelle du ministère de l’Environnement et des Energies renouvelables, et qui est chargé d’informer, de vulgariser les techniques de tri, de collecte, de transport, de traitement, de valorisation et d’élimination des déchets que ce soit dans les domaines du BTP, industriel, médical, ou dans la sphère domestique. L’un des rôles de l’AND est de fournir une assistance aux collectivités locales ainsi qu’aux entreprises qui participent à cette chaîne de recyclage afin d’initier, réaliser ou contribuer à la réalisation d’études et de recherches avec des projets de démonstration. Elles peuvent aussi publier et diffuser des informations scientifiques et techniques, initier et contribuer à la mise en œuvre de programmes de sensibilisation et d’information. Comme nous pouvons le voir sur cette diapositive, il existe plusieurs outils de référence : un guide de compostage, un bulletin de veille technologique qui est composé de deux parties, une première dédiée à l’actualité et la deuxième dédiée à l’innovation. On peut également citer le manuel de caractérisation des déchets permettant aux collectivités locales et aux entreprises chargées de la gestion des déchets de réorganiser ou d’organiser les services de collecte et de traitement.
Ces actions sont prolongées par l’activité innovante d’un certain nombre de start-ups de plus en plus nombreuses. A titre d’exemple, une start-up qui regroupe différents acteurs de la chaîne de recyclage et qui incite le consommateur à recycler ses déchets et à bénéficier de produits et de services grâce à une application qui fonctionne avec un système de points. C’est un peu ce qui se fait à Tafilelt, à une échelle réduite. En s’inscrivant, les recycleurs bénéficient d’abord d’une formation et peuvent ainsi collecter et déposer leurs déchets dans les points de collecte qui sont géo localisés. Une autre start-up recycle les bâches publicitaires expirées en sac de shopping, ce qui est doublement positif car, en plus de recycler elle contribue à la dépollution visuelle. Il y a également tout un volet autour des travaux d’artisans, comme à Tafilelt. Un certain nombre d’artistes se sont engagés dans cette démarche de recyclage : une artisane peint sur des planches de bois de récupération et utilise différents matériaux récupérés et recyclés pour la fabrication d’œuvres artisanales comme des supports de lampes. Une autre jeune start-up recycle les barils en éléments décoratifs en les customisant en fonction des envies des clients (couleur, motif, etc.).
Ce qui est essentiel pour tous ces acteurs engagés, c’est d’installer une conscience, un réflexe qui permettront la multiplication des initiatives au quotidien. Je rejoins tout à fait ce qui a été dit tout à l’heure, ce travail doit passer avant tout par l’école, mais aussi par l’espace domestique, l’espace de travail, l’espace public avant de se répandre aux secteurs industriels, notamment le BTP et le secteur médical. Je pense également qu’il faut se soucier de la destination de son pot de yaourt, des gravats dus à la destruction d’un mur, de la seringue que je rapporte à mon pharmacien, de mon ampoule ou de ma pile que je dépose dans les boites prévues pour ça au supermarché.
Je termine mon intervention pour annoncer la tenue d’un salon qui intéressera sûrement nombreux d’entre nous, organisé par l’AND, il s’agit du « Algerian Virtual Waste Exhibition » dont ce sera la deuxième édition et dont le thème sera « L’économie circulaire en Afrique : opportunité d’investissements ». Cet événement est porté par la conviction que l’économie circulaire par la gestion des déchets est un nouveau levier de développement économique en Afrique à travers la récupération et le recyclage avec une société civile impliquée dans cette démarche.
Je vous remercie pour votre attention !
Pour prendre connaissance de la présentation PPT de Mounia Bouali, c’est par la