Après la partie dédiée aux expertises méditerranéennes, nous poursuivons aujourd’hui la vision que procure l’expérience territoriale. Nous restons sur les territoires oasiens puisque c’est en partant de cette expérience territoriale très spécifique que nous avons démarré ce travail.
Nous poursuivons donc les présentations de la deuxième session d’interventions du second webinaire, qui s’est tenu le 29 avril dernier autour de la ressource énergétique en Méditerranée.
Pour mémoire, le webinaire du 29 avril est le second d’une série de quatre, destinés à traiter de la rareté de ressources emblématiques de la Méditerranée, mais aussi des solutions, traditionnelles comme innovantes, qui s’appliquent à la recherche, à la conservation et à une gestion optimisée de celles-ci. Les trois ressources que l’AVITEM a décidé d’examiner sont l’eau, l’énergie et les déchets et, parmi les solutions, notamment celles qui feront l’objet du quatrième webinaire (le 1er juillet), celles qui ont principalement recours à la basse technologie.
Intervention de Mounia Bouali : Architecte, docteure en urbanisme spécialiste de la problématique oasienne
Bonjour à toutes et à tous. Aujourd’hui, je vous parlerai de l’habitat vernaculaire mozabite. Cette présentation s’appuiera sur une lecture située au croisement des caractéristiques physiques du bâti et des modes d’habiter qui s’y déploient. L’objectif étant de rendre compte des dispositifs qui ont été mis en place traditionnellement pour habiter en pays chaud à travers l’exemple mozabite.
Pour rappel, la pentapole du M’Zab, inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1982, est située à 600 km au sud d’Alger. Ce site se caractérise par un climat saharien, avec des hivers froids et des étés extrêmement chauds avec des écarts de température diurne et nocturne très importants. Cette pentapole est composée de 5 ksour et de leurs palmeraies respectives qui ont été fondés entre le 11ème et le 14ème siècle, implantés sur un site rocailleux au bord de l’oued M’Zab et ses confluents.
À la fin du XXème siècle, les oasis de la vallée du M’Zab comptaient près de 20 000 habitants. Aujourd’hui, nous sommes face à une ville oasienne de près de 200 000 habitants (Diapositive 3).
Les 5 ksour et leurs palmeraies sont implantés en fonction d’un principe identique qui correspond à l’installation d’un ksar sur une éminence rocheuse, pour être à l’abri des crues notamment, et d’une palmeraie implantée sur le lit de l’oued près des couches aqueuses, en vue d’y développer une activité agricole.
Sur cette diapositive (diapositive n°4), nous apercevons le ksar de Béni Isguen, implanté sur le flanc est de la colline, et sa palmeraie qui s’est développée sur les bords de l’oued N’Tissa, un des confluents de l’oued M’Zab. J’ajouterai juste une petite information, très importante à retenir, et qui caractérisait le mode d’habiter des oasis mozabites traditionnelles, celle du double habitat : l’habitat du ksar et celui de la palmeraie – plus récent que le ksar- occupé, essentiellement, en été. Traditionnellement, ce dernier était occupé du mois de mai jusqu’au mois d’octobre environ, soit jusqu’à la récolte des dattes, témoignant d’un « rythme d’habiter » fondé sur le cycle du palmier-dattier.
Sans plus tarder, je vais vous présenter la maison vernaculaire du ksar que l’on appelle « taddart ». L’habitat traditionnel mozabite se caractérise par une gestion des variations de température quotidienne et saisonnière à travers une pratique habitante qui s’appuie sur le déplacement quotidien entre les différents niveaux de la maison. Cette pratique n’est pas propre au M’Zab puisque dans les pays du Moyen-Orient, à titre d’exemple, nous retrouvons aussi ce type de déplacement qui a lieu entre les différents étages, ou entre les pièces de la partie nord et celles de la partie sud d’une habitation en fonction des saisons. Nous entendons par « habitat vernaculaire mozabite » un habitat qui a existé dans la région du M’Zab jusqu’aux années 60/70. Il a été façonné par une population savante, par l’expérience, la bonne connaissance du site et la prise en compte du climat, des vents dominants mais aussi des matériaux locaux. Dans la région du M’Zab, les matériaux utilisés sont essentiellement : la pierre, le timchemt (un plâtre local), les palmes et stipes de palmier dattier pour ce qui est de l’habitat des ksour. Pour l’habitat de la palmeraie, on trouvera les mêmes matériaux avec toutefois une variante concernant une utilisation plus importante de la brique de terre séchée au soleil. La terre argileuse servant à la fabrication de ces briques se trouve être le matériau le plus disponible dans le lit de l’oued, prés duquel les habitations sont construites.
C’est cet habitat qui n’existe évidemment plus en l’état aujourd’hui, que je voudrais vous présenter.
Tout d’abord l’habitation mozabite, qu’elle soit dans le ksar ou dans la palmeraie est une habitation introvertie, dont tous les espaces sont organisés autour du « West eddar », le centre de la maison que l’on appelle aussi communément le patio. Il participe, avec la porte d’entrée, à la création d’un appel d’air qui contribue à la ventilation du rez-de-chaussée mais aussi à son éclairement zénithal. Le patio mozabite n’est pas complètement ouvert comme à Séville, Alger, Fès ou Tunis. Dans la région du M’Zab, comme nous pouvons le voir sur la coupe faite par l’architecte Bousquet (diapo n° 6), la cour centrale est recouverte au niveau inférieur, tout en réservant une ouverture modérée sur le ciel que l’on appelle le « chebek » (photo). Donc nous avons un patio qui est réduit dans sa partie supérieure, ce qui permet d’avoir un plateau de terrasses très important au niveau du premier étage et comme le soulignait Mr Tellaï tout à l’heure, il s’agit de l’espace le plus utilisé en été.
Ma présentation va essentiellement traiter de la maison du ksar, qui a été conçue pour être habitée en hiver comme en été, contrairement à celle de la palmeraie habitée uniquement en été. L’exemple du ksar permet de montrer une combinaison efficace entre architecture et mode d’habiter pour arriver à un confort thermique optimum sur une période annuelle complète.
Le rez-de-chaussée est composé d’une entrée en chicane (diapo page 6) qui donne sur un espace intermédiaire qui s’appelle la « tahdja » située entre l’entrée de la maison et le patio. On y recense également des chambres, des latrines avec un petit espace de douche et un coin cuisine appelée « inayen »et qui consiste en une cheminée qui occupe une partie du patio ou qui se trouve dans une pièce dédiée.
L’étage est composé de deux parties, une première qui est bâtie et composée de chambres, de pièces de stockage, également avec un âtre, des latrines, un coin douche et une galerie qu’on appelle « ikomar » et qui peut se développer sur un ou plusieurs côtés.
Dans l’exemple que je mobilise, l’ ikomar est développé sur deux côtés en raison de la configuration et de l’emplacement de la maison. La deuxième partie de l’étage consiste en une terrasse.
La cave est également un espace très fréquent dans l’habitation du ksar. Utilisée pour le stockage des denrées alimentaires et avec une différence de températures notable, elle est aussi très appréciée les après-midis d’été pour se rafraîchir.
En revanche, dans la palmeraie qui constitue une zone inondable, il est extrêmement rare d’y trouver des caves.
Cette illustration réalisée par l’architecte André Ravéreau (diapo n°7) résume très bien cette manière d’occuper les différents niveaux de la maison en fonction de la course du soleil de manière quotidienne mais aussi saisonnière et des bénéfices recherchés. Ce mode d’habiter est particulièrement lisible à travers deux éléments : la cuisine et le métier à tisser. Ils sont présents à la fois au rez-de-chaussée et à l’étage.
Au solstice d’hiver le soleil est à 35° environ au-dessus de l’horizon et chauffe, dès le matin, le sol du portique à l’étage. Dans cet exemple situé à Béni Isguen, la maison est orientée sud-sud-est, ce qui permet de réchauffer en même temps le plafond des pièces situées en dessous. D’ailleurs en cette saison le métier à tisser est installé dans l’ikomar et les activités domestiques diurnes sont effectuées à cet étage. Cette orientation permet également d’être à l’abri des vents dominants d’hiver qui viennent du nord-ouest. Pendant cette saison en journée, le rez-de-chaussée est très peu éclairé et peu chauffé, les épais murs en pierre, avec leur très importante inertie, laissent échapper pendant la nuit la chaleur emmagasinée la journée. À la tombée de la nuit, c’est l’inverse qui se produit : l’ouverture du patio ainsi que toutes les autres petites ouvertures et interstices du rez-de-chaussée sont obstruées par des éléments textiles et les hommes et leurs activités se déplacent vers le rez-de-chaussée qui a emmagasiné pendant la journée la chaleur dans l’épaisseur des murs. La préparation du repas se fait elle aussi au rez-de-chaussée, ce qui contribue au chauffage de la maison.
Des tapis sont également étendus sur les portes pour dormir en vase clos et permettent de garder un maximum de chaleur dans la pièce.
En été, c’est l’inverse qui se produit. Au solstice d’été l’inclinaison des rayons est à plus de 80°, et les activités en journée se déroulent plutôt au rez-de-chaussée après que les murs aient libérés toute la chaleur emmagasinée pendant la nuit.
Le métier à tisser y est lui aussi installé dans la tahdja ou le west eddar, en dessous de l’ikomar. En cette saison, la galerie est à l’ombre et protège l’étage inférieur, ce qui permet l’entretien d’un courant d’air et une protection contre les rayons du soleil. Au milieu de la journée, quand le soleil est au zénith, l’ouverture du patio ainsi que tous les interstices sont obstrués à l’aide de nattes, de palmes, ou de chiffons souvent humidifiés afin de rendre moins sec l’air qui entre dans la maison. En été, peu d’aliments sont cuits en raison de la chaleur mais aussi à cause de la rareté et du prix important du combustible que l’on préfère conserver pour l’hiver. Pendant les soirées, toutes les activités se passent à l’étage entre l‘ikomar et la terrasse, le rez-de-chaussée devient inconfortable et la grande terrasse qui surplombe la partie bâtie de l’étage sert essentiellement pour le sommeil d’été.
Concernant la maison de la palmeraie appelée akham en mozabite (Diapo n°8), les caractéristiques physiques du bâti ainsi que les pratiques habitantes qui s’y déploient, obéissent globalement au même principe que celles du ksar, mais toutefois avec des caractéristiques qui lui sont propres dues entre autres à son implantation dans la palmeraie.
Ainsi, la maison de la palmeraie se différencie de celle du ksar avant tout par la présence d’un extérieur végétalisé « le jardin » sur lequel s’ouvre le sabbat. Ce dernier consiste en un portique ouvert sur le jardin et utilisé comme salon d’été. La maison de la palmeraie se caractérise aussi par la présence de chambres à l’étage avec, souvent, un escalier donnant sur une terrasse privée qui la surplombe. Il ne s’agit plus d’un grand plateau de terrasse comme pour l’habitat du ksar, mais de plusieurs terrasses privées et individualisées. Le déplacement entre les différents niveaux de l’habitation reste inchangé mais toutefois nuancé par l’usage du jardin très apprécié pour l’élément végétal et hydraulique qui le composent et qui permettent la création d’un microclimat.
Cette diversification dans les temps d’occupation montre un mode d’habiter rythmé par la condition climatique et en harmonie avec l’environnement.
Cette rationalité dans l’utilisation des ressources à bon escient est intéressante à étudier et peut servir de modèle pour accompagner la transition énergétique, notamment dans les pays chauds, avec la mise en place de guides de bonnes pratiques. C’est pour cette raison qu’il est essentiel de parler d’habitat vernaculaire et pas seulement d’architecture vernaculaire. Selon moi, parler uniquement d’architecture focaliserait le regard sur la matérialité du bâti sans tenir compte de l’épaisseur sociale qui renseigne sur les modes de consommation, mais aussi sur les dispositifs qui ont été mis en place par ces populations pour améliorer le confort thermique domestique et urbain.
Mr Tellaï a montré, lors de sa présentation du ksar de Tafilelt inspiré des ksour traditionnels, une photo du crépissage des murs extérieurs qui présente un aspect rugueux. Cette rugosité est destinée à créer des micro-ombres portées qui contribuent à la diminution des températures ressenties en intérieur.
Dans les ksour traditionnels, les ruelles comportent des rétrécissements pour réduire la vitesse des vents de sable, fréquents dans la région. Evoquons aussi l’étroitesse de ces ruelles qui, associée à la hauteur du bâti, réduit la durée de l’ensoleillement direct des bâtiments. Tous ces éléments doivent être étudiés avec attention, car même si nous savons qu’il est difficile de nos jours, avec les exigences qui nous sont imposées par la vie moderne, de reprendre les choses telles qu’elles ont été mises en place ; il reste en revanche possible de s’en inspirer et de les adapter en partie pour un usage contemporain et responsable.
Pour conclure, loin d’avoir une pensée exclusivement « passéiste », il me paraît extrêmement important de revenir sur les solutions qui ont été trouvées en climat chaud, afin de parvenir à un habitat viable et un espace praticable en développant des solutions adaptées à la conjoncture climatique et pérennes. Comme au webinaire précédent, je souhaite finir par cette conviction : « Les solutions de demain se trouvent dans les réponses d’hier » en ajoutant également l’importance « d’apprendre de la tradition, en reprenant les mot d’André Ravéreau, et non reprendre de la tradition ».
En vous remerciant pour votre attention.
Pour prendre connaissance du support de présentation de M. Bouali, c’est par ici