Rooftop Days à Marseille : Les exemples méditerranéens (2/2)

Rooftop Days à Marseille : Les exemples méditerranéens (2/2)

Rooftop Days à Marseille : Les exemples méditerranéens (2/2) 2560 1810 Le Réseau des Aménageurs de la Méditerranée

Dans le cadre de l’événement « Rooftop Days » organisé à Marseille en partenariat avec le collectif « A nous les toits » et Euroméditerranée ce 6 octobre, l’AVITEM avait pour tâche de co-organiser et d’animer une session « Méditerranée ». Lors de cette manifestation, différents témoignages devaient être recueillis en provenance d’Europe du Nord (Pays-Bas) et de Méditerranée afin d’identifier des éléments inspirants susceptibles d’être amorcés ou poursuivis sur le territoire métropolitain. A cet effet, les partenaires institutionnels Euroméditerranée, Ville de Marseille et Aix-Marseille Métropole étaient conviés à intervenir.

A la suite du très riche exposé de l’invité néerlandais, qui a montré comment les toits peuvent autoriser un autre regard sur la ville et -souvent- anticiper les changements sociaux et comment ils s’affirment même comme les initiateurs de nouvelles tendances urbaines, plusieurs invités du pourtour méditerranéen sont venus témoigner des utilisations des toits-terrasses dans trois géographies respectives. Le dénominateur commun qui s’impose assez vite à l’audience porte sur le rôle qui est conféré au toit dans cet espace tantôt public, tantôt semi-privé : le toit est un accompagnateur, un facilitateur des nouvelles dynamiques. Quasiment dénué de limites, il offre la possibilité de dresser des ponts entre les bâtiments, entre les espaces et entre les gens. Ignorant les bordures physiques et instaurant un dialogue avec l’aide de supports virtuels, il réinstalle un « droit au ciel ».

MEDITERRANEE ORIENTALE : Marina Kyriakou, architecte urbaniste chez « Urban Gorillas[1] » et travaillant pour l’Agence chypriote de l’énergie, est la première à parler de l’ouverture offerte par ces nouveaux espaces.

Traditionnellement, dans les zones rurales, les maisons des villages viticoles disposaient souvent d’une véranda ou d’un toit-terrasse recouvert d’une simple pergola métallique et de vignes ; ce toit-terrasse était un endroit frais pour les soirées d’été et les réunions de famille. Cette accessibilité s’est progressivement érodée au fur et à mesure que le toit devenait un espace dédié à des installations plus techniques, notamment des chauffe-eaux. Une autre pratique qui rendait les toits très inaccessibles était celle qui consistait à laisser les barres d’armature rouillées d’origine dépasser des toits en vue de la construction future d’étages plus élevés. Cette pratique avait pour but de permettre aux enfants de la famille de construire leur propre maison sur les toits de leurs parents, et parfois d’éviter les impôts, la construction étant alors considérée comme étant toujours en cours.

Rappelant la division de l’île de Chypre en 1974 (le demi-siècle « anniversaire » aura lieu l’année prochaine), Marina Kyriakou explique qu’à Nicosie, la capitale, la limite physique et sociale de la ligne verte coupe l’espace urbain en deux, donnant lieu à une ville de culs-de-sac. Les toits-terrasses de Nicosie offrent à la ville la possibilité de se réunir à un niveau plus élevé sous le même ciel. L’ONG Urban Gorillas se mobilise à travers des projets créatifs conçus pour rassembler les gens sur les toits afin d’obtenir une perspective plus large et de permettre aux citoyens de réimaginer leur ville dans son ensemble. Cela permet aux citoyens de regarder des films « ensemble à part », de co-créer des œuvres d’art sur les toits et d’appréhender le paysage des toits de Nicosie comme un tout. En collaboration avec l’Agence chypriote de l’énergie, Marina a récemment réalisé un projet de toit vert, véritable projet pilote pour aborder les questions énergétiques et environnementales au cœur de la ville.

MEDITERRANEE DU SUD : Ouissame El Asri et Emmanuel Matteudi, deux chercheurs-urbanistes à l’Institut d’urbanisme et d’aménagement d’Aix-Marseille Université, appuyés par Hakim Cherkaoui, architecte marocain et professeur à l’Ecole nationale d’architecture de Rabat ont apporté la démonstration que les toits de Tunis sont des indicateurs incontournables anticipant les évolutions de la vie sociale et de l’espace public dans cette ville. Il est à noter que la démarche de travail, collective, sur la thématique des toits est relativement nouvelle. Elle donne la possibilité de construire un récit des usages observés et de l’articulation de ces usages. L’étude des toits permet de comprendre la ville différemment : « la ville des toits » devance les dynamiques urbaines et les évolutions contemporaines en affichant des usages parfois transgressifs concernant le pouvoir, la religion ou encore les relations intergenres par exemple, qui seraient impensables et impossibles dans l’espace public.

Elle laisse libre cours à l’émergence d’une pensée politique, inimaginable « en bas », favorisant les rassemblements urbains et non soumis à la surveillance. Elle met aussi en place des formes nouvelles de sociabilité dans le prolongement de la maison (espaces semi-privés) ou de connexions citoyennes par le biais de cafés et de restaurants (espaces publics). Enfin, cette nouvelle « liberté » proposée par ces espaces nouvellement colonisés induit une évolution des publics les fréquentant, en installant progressivement une gentrification de la Médina de Tunis.

MEDITERRANEE DU NORD : la troisième présentation est tenue par Dario Minghetti, Directeur du Casilino Sky Park Rome. Dans un quartier central de Rome, celui d’Alessandrino qui compte 300 000 habitants, le « groupe informel » Fusolab, présenté comme une association de promotion sociale créée en mars 2005, a eu pour objectif de développer et de réaménager les banlieues à travers la promotion de projets éducatifs, culturels, technologiques et sociaux au bénéfice de la communauté locale et notamment des nouvelles générations. Pour le groupe, les banlieues, souvent considérées comme un lieu de marginalité, a plutôt été un laboratoire de transformation urbaine et de régénération de la ville entière[2].

Pour faire vivre le concept de façon opérationnelle, le groupe a réhabilité le toit d’un parking de 4 000 m², sorte de place surélevée à ciel ouvert, dédié à la sociabilité au sport et à la culture avec un splendide panorama sur la ville de Rome : c’est le Casilino Sky Park Rome. D’une capacité de 2500 personnes, le rooftop accueille des installations très diverses allant de l’alimentation, du cinéma, de la danse, des spectacles jusqu’aux expositions.

Dans la démarche, il est utile de noter que c’est d’abord et avant tout le changement de contexte social et culturel qui a appelé à l’évolution des espaces publics. La vision, autrefois capitalistique et privée, a agencé une nouvelle combinaison qui articule pratique collective et démocratie. Véritable ciment de la régénération urbaine, cette hybridation des espaces publics, socioculturelle, artistique et collective augure de nouvelles transformations qui pourraient concerner de nombreuses villes.

En conclusion, l’expérience européenne initiée sur des territoires urbains plutôt septentrionaux a permis de réinitialiser des tendances traditionnelles au sud ou de les amorcer quand elles ne disposaient pas d’antériorité. Ce qu’il faut retenir c’est que cette impulsion s’inscrit dans une démarche fortement socialisée en ce qu’elle accompagne, voire qu’elle devance le développement des évolutions sociales en même temps que celui de la conscience politique. Dressant un pont imaginaire et parfois physique entre ces nouveaux « territoires » elle permet à toute une frange de la société de se saisir de nouveaux espaces de liberté, de parole et d’expression citoyenne.

[1] Urban Gorillas est une organisation à but non lucratif fondée en 2013. Elle est composée de passionnés d’urbanisme qui imaginent des villes saines, créatives et socialement inclusives. Elle contribue à un mode de vie urbain durable en accompagnant des projets et des actions qui prônent le changement dans les espaces urbains et les communautés. Elle se concentre sur la transformation des espaces publics en centres vivants, innovants et inclusifs, en cultivant la société civile et en influençant les politiques. Ces objectifs sont atteints grâce à des interventions artistiques dans les espaces urbains, à l’engagement communautaire, à l’éducation des jeunes, à l’activisme et à la recherche dans le domaine des nouvelles technologies, ainsi qu’à des conceptions architecturales et sociales qui améliorent la vie urbaine. Voir https://urbangorillas.org/

[2] « Le Fusolab offre une formation permanente et populaire, favorise l’art et la culture indépendants et numériques, favorise le sport accessible et populaire, encourage la citoyenneté active et la participation à travers la consolidation des réseaux sociaux locaux, expérimente et met en œuvre des projets d’innovation sociale, fournit des services de conseil dans les domaines des technologies de l’information, des nouveaux médias et des arts numériques. ». Voir : https://www.turismoroma.it/it/luoghi/fusolab-20