Webinaire AVITEM : l’eau en Méditerranée, résilience urbaine et solutions innovantes – Mounia Bouali, experte (6/13)

Webinaire AVITEM : l’eau en Méditerranée, résilience urbaine et solutions innovantes – Mounia Bouali, experte (6/13)

Webinaire AVITEM : l’eau en Méditerranée, résilience urbaine et solutions innovantes – Mounia Bouali, experte (6/13) 1333 805 Le Réseau des Aménageurs de la Méditerranée

Dans cette intervention, nous poursuivons la présentation des grands principes de la gestion de l’eau en usage sur les territoires oasiens, dans les ksour et principalement dans le Ksar Tafilelt.

Pour mémoire, le webinaire du 8 avril est le premier d’une série de trois, destinés à traiter de la rareté de ressources emblématiques de la Méditerranée, mais aussi des solutions, traditionnelles comme innovantes, qui s’appliquent à la recherche, à la conservation et à une gestion optimisée de celles-ci. Les trois ressources que l’AVITEM a décidé d’examiner sont l’eau, l’énergie et les déchets.

Intervention de Mounia Bouali : Architecte, docteure en urbanisme.

Habitat oasien, ksour, palmeraies, Sahara.

Je suis ravie d’être parmi vous aujourd’hui, autour de la thématique de la ressource hydrique. Je suis architecte, docteure en urbanisme, j’ai fait une thèse qui porte sur l’évolution des types d’habitats et les variations saisonnières des pratiques habitantes dans la région du M’Zab.

Dans ma présentation, je mettrai l’accent sur la gestion de la ressource hydrique dans un territoire ayant forgé une forte empreinte historique et disposant d’une organisation communautaire très présente à partir de l’habitat vernaculaire de la palmeraie. J’aborderai la manière dont est gérée la ressource hydrique mais aussi le risque de crue, très courant dans cette région.

Ma présentation s’organisera autour de trois principaux points :

  • d’abord une brève présentation de la vallée du M’Zab en évoquant le principe d’implantation des ksour et de leurs palmeraies pour comprendre comment la morphologie du site a conditionné l’implantation de ces oasis et l’accès à la ressource hydrique ;
  • dans un deuxième point, j’aborderai comment l’habitat vernaculaire a été pensé en fonction de la gestion de la source hydrique et du risque de crue;
  • enfin, je conclurai mon propos en revenant sur ce qui vient d’être dit de manière générale dans les précédentes interventions, à savoir l’importance de la bonne connaissance du terrain et de l’implication des acteurs locaux dans toutes formes d’innovation.

Je vais donc commencer par une brève présentation de la vallée du M’Zab. La pentapole de la vallée du M’Zab est un site rocailleux, situé à 600 kilomètres au sud d’Alger dans la partie septentrionale du Sahara algérien. La vallée du M’Zab est d’abord classée patrimoine national en 1970. Puis, inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO en 1982. Traditionnellement, la pentapole était composée de 5 ksour et de leurs palmeraies respectives, de gauche à droite (page 2/3 du diaporama) : Ghardaïa, Melika, Beni Isguen, Bounoura et enfin El Atteuf. Ces 5 oasis sont implantées le long de l’oued M’Zab et leurs deux confluents (oued Azouil, pour Bounoura, oued N’tissa pour Béni Isguen). Le site s’étend sur près de 400 hectares avec un climat saharien : soit des étés extrêmement chauds et des hivers très froids. Cependant, les tendances évoluent ces dernières années, avec un hiver plutôt doux mais avec des variations de températures diurnes et nocturnes qui restent très importantes et un été toujours aussi chaud.

Les précipitations dans la vallée du M’Zab sont faibles et irrégulières, mais peuvent cependant entraîner des crues. Selon la station météorologique de Ghardaïa, elles sont estimées entre 13 et 68 millimètres sur une durée moyenne de 15 jours par an (monographie wilaya de Ghardaïa, 2014).

Au début du XXème siècle la vallée du M’Zab comptait près de 20 000 habitants, tandis qu’aujourd’hui elle constitue une ville oasienne d’environ 200 000 habitants qui mixe le caractère urbain à la spécificité oasienne. Il n’y a plus seulement les centres historiques avec la palmeraie, puisque nous assistons à une « conurbation urbaine », bien que le terme soit sans doute un peu exagéré au regard des distances qui séparent les différentes entités oasiennes.

Pour revenir au schéma d’implantation des oasis, les ksour mozabites et leurs palmeraies obéissent aux mêmes principes. Soit un ksar implanté sur une éminence rocheuse (un monticule ou un éperon rocheux) pour rester à l’abri des crues. C’est d’ailleurs selon ce principe (entre autres) que s’est développé le ksar de Tafilelt. Puis en contrebas, la palmeraie se développe sur le lit de l’oued afin d’être au plus près des couches aqueuses où il est plus facile de creuser des puits et développer l’activité agricole. Je tiens également à attirer votre attention sur une spécificité assez peu connue mais très importante qui caractérise l’habitat de cette région et qui consiste dans le fait que la palmeraie mozabite soit, traditionnellement, occupée par un habitat saisonnier. Ce qui signifie que les habitants, disposent en plus du ksar, d’un habitat qui est occupé en été jusqu’à la fin de la récolte de dattes, sur une période qui court de mai jusqu’à environ octobre/novembre. Cet habitat de la palmeraie constituait jadis une véritable ville d’été avec son réseau de voiries et ses ensembles bâtis. Je reviens souvent sur le mot « traditionnellement » car de nos jours, nos sociétés se sont fortement émancipées de la saison climatique et des marqueurs naturels du temps, comme la crue et le cycle du palmier dattier. Aujourd’hui, c’est une organisation différente qui prédomine, mais j’ai tenu à préciser ce qu’il en était de ce double habitat fondé sur la tradition et sa forte relation à son environnement.

Jusqu’à la moitié du XXème siècle, la ressource hydrique s’appuyait exclusivement sur les nappes phréatiques, qui, comme Mr Bzioui l’a signalé plus tôt, sont une ressource renouvelable. Jusqu’aux années 1950 environ, c’était la seule source d’approvisionnement en eau dans l’espace domestique, dont l’extraction était manuelle, appuyée par la traction animale comme on peut le voir sur les photos (p 5 du diaporama). Cette rareté de la ressource a d’ailleurs donné lieu à un système de gestion et de partage des eaux qui est extrêmement ingénieux. Ce dernier s’appuie sur des aménagements et des équipements hydrauliques pour retenir l’eau des crues, irriguer les jardins et alimenter la nappe phréatique qui servait de stock pouvant durer jusqu’à 6 mois/1 année en fonction des précipitations.

La gestion des eaux de pluie était organisée grâce aux barrages et aux retenues (barrage de Béni Isguen, p 5 du diaporama), à des galeries souterraines, des répartiteurs, des canaux de distribution, le tout étant calibré et dimensionné en fonction des quartiers et de la taille des jardins qu’il fallait irriguer et dont une institution traditionnelle était en charge. On peut remarquer la présence de 2 types de puits : le puits de captage et le puits de puisage, ce dernier correspondant au puits « classique », avec des bassins attenants à partir desquels partent une série de canaux d’irrigation et de rigoles. Ce puits est le dispositif basique avec ses principes d’extraction, de retenue et de distribution. En revanche, le puits de captage correspond à un procédé de retenue, d’absorption et d’alimentation de la nappe phréatique. Une mention également à retenir concerne les murs de clôture des jardins, dispositif très intéressant (les deux photos à côté du barrage de Béni Isguen p 5 du diaporama), qui servent de canaux les jours de crues et disposent d’ouvertures à leur base pour irriguer les jardins. Le nombre et les dimensions de ces ouvertures étaient supervisés afin de veiller à l’équité de la distribution de l’eau. Leurs dimensions dépendaient de la taille du jardin, du nombre de palmiers et autres plantations, ainsi que de la situation du jardin par rapport au lit de l’oued.

On peut aussi voir que ces ruelles consistaient en des chemins de terre qui absorbent l’eau de pluie par absorption et infiltration et contribuent à l’alimentation de la nappe phréatique. Dans la palmeraie de Béni Isguen, on recense deux barrages et depuis une vingtaine d’années, un troisième a été construit  en amont destiné à écrêter les crues, en vue de diminuer le débit de l’oued Ntissa (confluent de l’oued M’Zab). Ce dernier barrage a été conçu pour améliorer l’absorption des eaux de crues en raison du développement urbain et du déploiement grandissant de la surface bitumée qui réduit l’absorption des eaux par les sols et donc accentue le risque de crue.

À ce jour, ce système traditionnel est toujours existant même si la pompe électrique a définitivement remplacé la traction animale. Le recours à la nappe phréatique est aujourd’hui moins important que jadis, dans la mesure où c’est quasi-exclusivement la nappe albienne qui est utilisée et qui vient se substituer (en grande partie) au pompage dans la nappe phréatique. Dans un premier temps la nappe de l’Albien était utilisée uniquement pour le secteur agricole. Puis, dans un second temps dans l’alimentation en eau courante de l’espace domestique. Rappelons que le bâti traditionnel a été conçu  avec des toilettes sèches (latrines) et une utilisation très parcimonieuse de l’eau pour la toilette et les activités domestiques, que ce soit au ksar ou à la palmeraie. D’ailleurs les matières sèches étaient utilisées dans les palmeraies comme engrais, ce qui renforce encore l’image écologique du modèle oasien.

L’adduction de l’eau potable au bâti traditionnel du ksar a posé le problème du rejet des eaux usées et l’installation du réseau d’assainissement puisqu’on a surtout utilisé dans un premier temps des fosses septiques qui ont causé la pollution de la nappe phréatique. Plus tard, les collectivités locales ont pallié l’absence d’installations adéquates et continuent d’ailleurs d’œuvrer pour trouver des solutions à cette pollution dans l’habitat de la palmeraie particulièrement.

Dans les quartiers récents, essentiellement des lotissements qui se sont développés dans la partie extra-muros du ksar, les VRD incluant le réseau d’assainissement sont planifiés en amont, ou parfois en même temps que les constructions.

En ce qui concerne l’architecture traditionnelle nous abordons ici (p 6 du diaporama) la maison de la palmeraie qui présente des éléments extrêmement intéressants à relever dans la prévention et la gestion du risque de crue, mais aussi dans la gestion de la ressource hydrique, notamment pour l’entretien des plantations. Ces dispositifs sont mobilisés (en partie) dans les types d’habitats qui sont en train de se développer aujourd’hui dans la vallée du M’Zab.

Le premier élément que nous relevons c’est le double accès au jardin, dont de secours les jours de crue : selon l’emplacement de l’habitation dans le tissu de la ville d’été, l’emplacement des portes diffèrent. Les portes sont ouvertes ou fermées en fonction de l’intensité de la crue et de ce qui est recherché, à savoir évacuer ou retenir l’eau.

Une des difficultés à laquelle j’ai été confrontée pendant mes travaux de recherche était malheureusement, l’absence de la localisation des maisons de la palmeraie relevées  (au nombre limité). De ce fait, nous ne disposions pas de l’ensemble des éléments qui permettrait une lecture claire de ce qui justifie l’organisation spatiale de l’habitation et certains dispositifs architecturaux mis en place (orientation de l’habitation, accès, certains aménagements, etc.).

Dans cette diapositive, nous relevons également la multitude de canaux qui partent du bassin pour atteindre les différentes cuvettes aménagées comme nous pouvons le voir en haut à gauche (p 6 du diaporama). D’ailleurs à ce jour, ce système de rigoles est toujours en fonctionnement- comme nous pouvons le voir sur la photo en bas à droite, prise en 2016 (p 6 du diaporama)- composé d’un mix entre tuyauterie moderne, pompe électrique et canaux maçonnées.

Dernier élément très important à soulever en termes de prévention des crues, est que selon l’implantation de la maison par rapport au lit de l’oued, le plancher peut être surélevé grâce à un système de voûtains qui facilite le passage des eaux d’irrigation et de pluie, en même temps qu’il protège le plancher du rez-de-chaussée de l’humidité des sols.

Dans la région du M’Zab les organisations communautaires et traditionnelles sont toujours présentes et se superposent à un tissu associatif extrêmement actif. Elles constituent un levier de développement urbain et architectural, mais aussi une force vive qu’il convient d’associer à toute stratégie d’innovation sociale dans la mesure où il y a une expérience, une compétence et une connaissance très fines du lieu.

Dans la photo en bas à gauche (p 7 du diaporama), nous pouvons voir les dégâts causés par les inondations de 2008 dans une habitation permanente située dans le lit de l’oued de la palmeraie. Sur cette photo, nous apercevons un espace extérieur transformé en bassin. En partie, à cause de l’absence d’évacuation des eaux de pluie, mais aussi à cause de  l’aménagement de cours avec des sols entièrement carrelés à la place des jardins, induisant un pourcentage de terre extrêmement réduit et limitant l’absorption des eaux de pluie. Au final, l’habitat se transforme en bassin et accentue le risque d’inondation. Ce phénomène nous interroge quant à l’interdiction de construire dans le lit de l’oued ; ne vaudrait-il pas plutôt réfléchir à un accompagnement de certaines constructions en apportant des conseils architecturaux et techniques, puisque nous savons pertinemment que l’interdiction n’empêche pas la construction.

Pour le mot de la fin, je reste comme beaucoup d’entre vous convaincue que « dans les réponses du passé se trouvent les solutions de demain ».

Pour avoir accès à la présentation de Mme Mounia Bouali, c’est par là !