Webinaire AVITEM : l’eau en Méditerranée, résilience urbaine et solutions innovantes – Union pour la Méditerranée, UpM 4/13)

Webinaire AVITEM : l’eau en Méditerranée, résilience urbaine et solutions innovantes – Union pour la Méditerranée, UpM 4/13)

Webinaire AVITEM : l’eau en Méditerranée, résilience urbaine et solutions innovantes – Union pour la Méditerranée, UpM 4/13) 1386 704 Le Réseau des Aménageurs de la Méditerranée

Après la mise en ligne de l’intervention de M. Bzioui, voici celle de M. Fleuret, l’orateur qui lui a succédé lors de la première session de son webinaire du 8 avril.

Pour mémoire, ce webinaire est le premier d’une série de trois, destinés à traiter de la rareté de ressources emblématiques de la Méditerranée, mais aussi des solutions, traditionnelles comme innovantes, qui s’appliquent à la recherche, à la conservation et à une gestion optimisée de celles-ci. Les trois ressources que l’AVITEM a décidé d’examiner sont l’eau, l’énergie et les déchets.

Intervention de Guy Fleuret : Expert international Senior – Union pour la Méditerranée

Après avoir été Directeur exécutif et Conseiller du Secrétaire général de l’Union pour la Méditerranée jusqu’à fin 2018, j’ai réalisé, pour le compte de cette organisation l’année dernière, un début d’étude ou plutôt les premières réflexions sur la façon dont le programme WASH se met en œuvre en Méditerranée particulièrement dans les pays du sud et de l’est. En particulier, la question posée concernait le rôle d’une institution régionale dans ce domaine. Ce sont donc les résultats de ces réflexions que je viens vous présenter aujourd’hui.

L’acronyme “WASH” signifie « WAter, Sanitation, and Hygien ».

Le programme est structuré en trois composantes :

  • promouvoir un accès à l’eau potable pour tous,
  • un assainissement sécurisé
  • des mesures qui concourent à la santé,

chacune des composantes de ce système interagissant les unes avec les autres. WASH est à la fois un système d’acteurs, une politique publique et multidimensionnelle qui relie très étroitement la gestion de l’eau à la gestion de la santé, avec, bien sûr, des investissements dans les infrastructures. Pour rappel WASH fait partie du programme de travail de l’UpM et correspond en fait à 4 axes d’action et sous-ensembles pour ces années 2020-2022.

Ces 4 axes concernent :

  • un programme eau énergie-écosystème-alimentaire WEF Nexus,
  • un programme emploi et migration WEM Nexus,
  • un programme de travail eau-santé, le programme WASH
  • un programme de travail avec les acteurs sur l’eau et l’action climatique.

Au regard du contenu de ce webinaire, je n’ai pas abordé la question strictement sous l’angle de la santé et notamment de ce qu’on appelle dans l’ODD 3 « l’accès à la couverture universelle de santé ». Je l’ai plutôt abordé sous l’angle de la contribution de l’eau à la santé globale de la population. Avec la gestion du Covid, le pilier de WASH qui concerne l’hygiène est devenu très important, je dirai même stratégique et c’est l’OMS, avec l’UNICEF, qui suit en tant prescripteur de norme, ce pilier. Mais l’idée qui était celle de mon équipe était de dire que les mesures qui sont prises en termes d’hygiène sont fondamentales et ne sont viables que s’il y a également une stratégie de moyen-long terme d’investissement dans ce qu’on appelle les « water utilities ». Donc on ne peut pas dissocier les mesures de gestion de crise comme le Covid avec les mesures d’appui à la stratégie de l’investissement sur les « water utilities ».

Alors pourquoi l’assainissement ? On peut constater de manière assez importante que l’assainissement constitue le maillon faible du système WASH. Par exemple, la Banque Mondiale considère que l’effort d’investissement total dans le domaine de l’assainissement est de 2 à 3 fois inférieur par rapport à ce qui est fait dans l’eau potable depuis une vingtaine d’années. Les investissements sont donc beaucoup plus faibles dans le domaine de l’assainissement et c’est le cas dans tous les pays du monde et ça ne concerne  pas uniquement la Méditerranée. Dans ce sens il y a eu une sorte d’alerte de l’OMS en novembre 2020, qui a écrit, avec l’UNICEF, un rapport intitulé « An urgent call to transform sanitation for health » et qui pointe la question de l’assainissement comme une question centrale dans le programme WASH et pour la santé.

On peut se demander pourquoi ce retard, cette insuffisance d’investissement, de financement en matière d’assainissement. Ce sujet est directement lié aux options stratégiques anciennes prises par les pouvoirs publics et les grands bailleurs internationaux, qui ont donné, depuis 20-25 ans, la priorité à l’accès à l’eau potable en oubliant quelque peu le traitement des eaux usées. Ce qui est fondamental dans la démarche, c’est qu’au fond l’assainissement est considéré comme une dépense qui ne crée pas de valeur contrairement à la production d’eau potable. L’assainissement est donc perçu, je le répète, comme une dépense et non pas comme un investissement. Il faut ajouter à cela que, selon moi, le business model de l’assainissement n’est pas stabilisé, car on voit bien que les méthodes classiques, les investissements habituels dans le domaine de l’assainissement coûtent très cher. La démarche passe donc par la recherche de systèmes alternatifs d’assainissement, ce qu’on appelle des « smart grid » qui sont des infrastructures beaucoup moins coûteuses et beaucoup plus flexibles.

Pourquoi les investissements dans des tuyaux, dans des infrastructures paraissent-ils insurmontables ? Tout simplement parce que les coûts dépassent globalement les capacités budgétaires notamment du sud et de l’est de la Méditerranée, sans parler des pays d’Afrique. Comme ces investissements sont considérables,  il faut bien penser à des politiques d’investissement dans le domaine de l’assainissement qui soient alternatives. Ce sujet renvoie également à des questions de l’ordre du sociétal : ainsi, la réutilisation des eaux usées en eau potable pour la consommation des ménages pose souvent des problèmes sociétaux d’acceptabilité. Enfin cela renvoie aussi au fait que les investissements qui doivent être faits pour l’assainissement le sont principalement à destination de zones rurales. Quand on parle de zones rurales, c’est par exemple en Égypte avec des bourgs qui font entre 20 000 et 30 000 habitants, dans des bidonvilles et ou encore dans les camps de réfugiés qui abritent plusieurs millions de personnes au nord et au sud de la Méditerranée, en y incluant bien sûr la Turquie.

Sur cette carte du monde de 2015 (p 4 du diapo) présentant la couverture en matière d’assainissement, on peut voir que dans l’est et dans le sud de la Méditerranée, il y a encore des progrès à faire même si l’assainissement est correct à environ 70% à 90%. Ce sont bien les 10 à 20 % restants qui sont les plus difficiles à atteindre. La Banque Mondiale a fait une étude  (page 5 du diapo) dans laquelle elle montre que le non-assainissement ou un assainissement qui n’est pas sécurisé représente un coût annuel de 0,7 point de croissance pour la zone Méditerranée sud.

Au niveau politique, il y a trois choses qu’il ne faut pas ignorer, même si beaucoup de progrès ont été réalisés :

  • il y un défaut de cohérence en matière de politiques publiques, ce qui signifie que, quand on parle du programme WASH, il faut parler de la politique de santé, de politique éducative et de politique de l’eau. On ne peut pas uniquement rester sur une politique de gestion de l’eau et il faut dépasser la logique de silos. Or, cette idée n’est pas très développée et pose la question du leadership de gouvernance de cette politique. C’est ce qui est en fait très complexe car il y a de multiples institutions qui interviennent et il n’y a pas de gouvernance suffisamment claire avec un vrai leadership sur ce programme WASH. C’est aussi lié à l’usage de l’eau, car l’usage final de l’eau obéit à des règlements juridiques différents, notamment entre espaces agricoles et espaces urbains. Donc, quand on parle de WASH, il y a une multiplicité de codes juridiques, ce qui pose un problème de cohérence en matière de politique publique ;
  • le second sujet concerne le financement, et particulièrement la façon dont on passe de mesures de court terme dans le domaine de l’investissement en matière d’hygiène à des mesures de moyen/long terme. De même, l’interrogation porte sur les processus permettant d’aller vers d’autres formes de financement, au-delà des appuis budgétaires qui sont, de toute façon et compte tenu des capacités budgétaires des Etats, insuffisants. Ce qui signifie qu’il est nécessaire de trouver des modes de financement alternatifs permettant d’aller au-delà des capacités budgétaires propres des États dans bien des cas.
  • WASH est un système d’acteurs et d’incitations très fragmenté du fait de la multiplicité d’intervenants. On constate au final trop peu d’initiatives qui intègrent ce caractère multidimensionnel et qui cherchent à développer une gouvernance plus inclusive. Le sujet central ne consiste pas uniquement à poser des tuyaux ou à financer des infrastructures mais concerne également la question du service, du type de service mis en place et de la manière d’intégrer les populations, les communautés pour gérer et s’approprier ce service. Finalement c’est là tout l’enjeu de la stratégie UpM dans le domaine WASH.

Quelques pistes de travail : 

  • D’abord l’assainissement doit être reconnu comme un domaine d’action multisectoriel par nature, ce qui implique qu’il est nécessaire de développer les mécanismes de planification opérationnelle et de coordination.
  • Il faut aussi rééquilibrer les engagements financiers des bailleurs et de ce que j’appelle les Banques nationales de financement pour compléter les financements budgétaires et fiscaux. De même, il faut savoir profiter du momentum particulier actuel qui peut s’appuyer sur l’appel des grands bailleurs internationaux qui s’est tenu au Sommet de la « finance en commun » en novembre 2020 à Paris pour favoriser les actions sur l’eau, ce qui représente une forte opportunité.
  • Il faut ensuite donner de nouvelles perspectives au secteur en testant de nouveaux modèles économiques basés sur des innovations.
  • Il faut promouvoir une stratégie de coopération internationale basée sur l’échange par les pairs et la diffusion des bonnes pratiques.
  • Enfin, il faut mettre en œuvre des stratégies territoriales permettant la participation des communautés, garantissant ainsi une gouvernance plus inclusive.

Ce sont les 5 recommandations globales que je préconiserais, mais outre ces recommandations, il faut penser une stratégie régionale et les clés de sa réussite. Il y a trois prérequis majeurs qui sont ceux-ci :

  • En premier lieu, il convient d’associer des initiatives bottom-up et des innovations top-down, les associer et identifier comment faire le lien entre les deux ;
  • ensuite, Il faut s’assurer de la tangibilité des actions pour les populations dites « vulnérables », par exemple les habitants des bidonvilles ;
  • et enfin être très sélectif dans le choix des angles d’approches pour que la démarche s’inscrive réellement dans une stratégie régionale, celle-ci ne devant pas se substituer à des stratégies nationales qui sont de la responsabilité des États.

Pour parvenir à cela j’ai proposé 3 stratégies d’action au niveau régional : 

  • bâtir un dialogue régional sur les stratégies WASH, donc peut-être faire du benchmarking sur ces stratégies-pays en visant une harmonisation de la mise en œuvre sur des points-clés de WASH. Quels dispositifs communs de suivi des mesures peuvent être mis en place ? Quelle mobilisation des leviers financiers innovants peut-on imaginer? Comment aligner tout cela sur les ODD ?
  • renforcer une stratégie de coopération internationale décentralisée centrée sur des approches innovantes et reproductibles, en posant les questions suivantes : en quoi consiste une bonne pratique en ce domaine ? Comment qualifier la reproductibilité ? De quels outils peut-on disposer ? Quel projet flagship ou cas d’investissement doit-on promouvoir et dans quelles conditions ? Et puis quelles peuvent être les procédures de peer-to-peer ? Voici une liste de questions stratégiques qui méritent réflexion parce que tout n’est pas reproductible et tout ne fait pas une politique. En synthèse, si l’on cherche à mettre en place une stratégie de coopération internationale décentralisée, il faut à la fois se poser ces questions et avoir les outils permettant d’évaluer et de mettre en œuvre ce type de bonnes pratiques ;
  • consolider l’appui financier à la mise en œuvre d’une stratégie d’investissements adaptéA cet égard, la Banque Mondiale est en train de réfléchir à mettre en place, pour l’Afrique, une facilité de financement international qui permettrait de soutenir la préparation des projets, de faire ce qu’on appelle du blending, c’est à dire des financements mixtes avec les Banques nationales de Développement. Cela permettrait de passer de la gestion de crise de la Covid, avec les mesures d’hygiène et les investissements qui les accompagnent, à une gestion à moyen/long terme sur le renforcement des infrastructures qui concourent à la santé, notamment dans le domaine de l’eau et de l’assainissement. Je pense que cette piste de réflexion doit être développée au niveau régional, le niveau national devant mettre en œuvre ce type d’action. Pour finir, gardons en tête le rôle central du green deal, notamment pour les Balkans de l’ouest et pour la Turquie, territoires particulièrement concernés par ces sujets. Enfin, n’oublions pas la toute nouvelle politique de voisinage sud qui concerne les rives est et sud de la Méditerranée, avec lesquelles il faut travailler pour mettre ces questions de WASH, et plus précisément de l’assainissement, sur la table.

Pour avoir accès à la présentation de M. Guy Fleuret, c’est par ici