Dans le prolongement de l’article mis en ligne le 20 avril, le Réseau des Aménageurs de la Méditerranée est heureux de vous présenter le second expert qui est intervenu dans la première session de son webinaire du 8 avril.
Pour mémoire, ce webinaire est le premier d’une série de trois, destinés à traiter de la rareté de ressources emblématiques de la Méditerranée, mais aussi des solutions, traditionnelles comme innovantes, qui s’appliquent à la recherche, à la conservation et à une gestion optimisée de celles-ci. Les trois ressources que l’AVITEM a décidé d’examiner sont l’eau, l’énergie et les déchets.
Intervention de Mokhtar Bzioui : Président du comité scientifique – Institut Méditerranéen de l’Eau
Merci tout d’abord pour l’invitation envoyée à l’IME destinée à parler de la gestion des ressources en eau en Méditerranée, sujet primordial. De par mes anciennes fonctions, je vous proposerais de donner quelques exemples marocains, étant donné que j’ai dirigé le Département de l’eau au Maroc pendant de longues années. Pour rappel, l’IME, partenaire de l’AVITEM, est une plateforme d’échanges qui regroupe des Ministères, des experts, des professionnel, tous situés dans la zone de la Méditerranée. Au regard de cette constitution, l’IME est un réseau des acteurs de l’eau, et, comme son nom l’indique, l’IME fédère les pays de la Méditerranée. Il y a cependant quelques pays qui font « exception » tels que l’Allemagne et les Pays-Bas, ces deux pays agissant essentiellement en tant que bailleurs de fonds. L’IME est avant tout une plate-forme de coopération et de transfert de connaissances dans le domaine de l’eau, et elle poursuit trois objectifs :
- faciliter le dialogue sur la gestion durable de l’eau ;
- promouvoir des actions durables pour la protection des eaux continentales et des milieux aquatiques ;
- développer et renforcer la dimension environnementale dans la gestion intégrée de la ressource en eau.
Sur cette carte qui représente la disponibilité en ressources en eau en Méditerranée (p 5 du diaporama), vous constatez que les pays du nord de la Méditerranée disposent de beaucoup d’eau comparativement aux pays du sud. Les pays du nord sont surtout, comme l’a signalé Mme Laronde, sujets à des préoccupations environnementales ; mais c’est surtout la question de sa qualité qui pose problème. Pour les pays du sud, c’est une problématique différente : même s’il y a aussi des difficultés liées à la qualité, le point crucial c’est surtout qu’il n’y a pas suffisamment de ressources en eau et il va falloir apprendre à faire avec cette donnée.
La Méditerranée, c’est 500 millions d’habitants, mais à cela vient s’ajouter une population de touristes qui viennent bouleverser massivement la gestion des ressources en eau. La consommation d’eau des habitants de la Méditerranée est à peu près équivalente à 120-150 litres par habitant et par jour, mais les touristes consomment beaucoup plus, soit 300 à 500 litres par personne et par jour. Nous voyons donc que la problématique gagne en complexité.
Comme cela a déjà été signalé la Méditerranée est un hotspot pour le stress hydrique et les parties en rouge sur cette carte (p 7 du diaporama) indiquent qu’il y a une baisse annoncée de l’accès aux ressources en eau dans les 30 à 50 prochaines années. Le stress hydrique est donc bien parti pour s’installer durablement et de plus en plus, et un certain nombre de mesures devront être prises pour pouvoir s’adapter aux changements climatiques, qui est à l’origine d’une partie importante de ce stress hydrique.
Concernant la baisse des ressources en eau, je vais revenir à l’exemple marocain, qui est d’ailleurs également valable pour les autres pays du sud de la Méditerranée. L’hydrologie est généralement mesurée sur le plus long échantillon disponible, et la mesure au Maroc a débuté dans les années 20. On constate en comparant sur ce graphique (p 8 du diaporama) l’horizontale bleue (moyenne sur ce long échantillon depuis les années 20), à la moyenne des 30 dernières années (horizontale rouge), que les ressources en eau disponibles ont déjà baissé. Avec les prévisions du GIEC, nous nous attendons à une autre baisse, de l’ordre de 20% pour les 30 – 40 prochaines années. Ce que je viens de vous montrer ce sont surtout les réserves en eau de surface, et sur ce nouveau graphique (p 9 du diaporama), voici ce qui se passe pour les ressources en eaux souterraines. On peut voir qu’au Maroc, toutes les nappes sont pratiquement en surexploitation, et compte tenu des prévisions du GIEC, il faut s’attendre à une nouvelle baisse des ressources en eau de l’ordre de 20%. Cela va bien entendu contribuer à aggraver la surexploitation des nappes.
Cependant, il n’y a pas que la baisse des ressources en eau qui pose problème, il y a aussi l’érosion, les inondations, la baisse de la qualité de l’eau à cause de la pollution, etc., Nous avons, par ailleurs, des zones fragiles qui sont menacées, notamment les espaces oasiens, et les lacs naturels qui ont tendance à disparaitre. Si on a pratiquement résolu les problèmes de l’alimentation en eau potable dans les villes, il reste encore beaucoup à faire pour les zones rurales. Concernant les usages de l’eau et pour revenir à une approche globale sur la région méditerranéenne, on peut voir dans ce tableau (p 13 du diaporama) que l’usage agricole consomme 70% de la ressource en Méditerranée, et particulièrement au sud où plus de 80% des ressources en eau sont consacrés à l’irrigation, comme au Maroc où ce chiffre s’élève à 85%.
Ce nouveau graphique (p 14 du diaporama) nous présente deux aspects de l’exploitation des ressources en eau : d’abord le pourcentage global d’exploitation, ensuite la partie, en dessous de zéro, représentant l’exploitation des ressources non-renouvelables. Si on prend les extrêmes, la Libye n’a quasiment pas exploité ses ressources renouvelables, mais elle a surtout beaucoup exploité ses ressources non renouvelables. A l’autre extrême, le Maroc a pratiquement exploité toutes ses ressources en eau, essentiellement les eaux de surface et les eaux souterraines. Dans le cas de l’Algérie, les ressources en eaux non conventionnelles, essentiellement le dessalement d’eau de mer, représente près de 20% des ressources en eau mobilisées.
Pour ce qui concerne les ressources non conventionnelles, nous pouvons voir, sur ce graphique (p 15 du diaporama) en ordonnées le pourcentage des eaux traitées et, en abscisses, le pourcentage des eaux réutilisées. À ce sujet, j’ai lu récemment dans un article que l’éco-cité du Ksar Tafilelt excelle dans la réutilisation des eaux usées : j’ai noté en effet que, dans cette éco-cité, ce ne sont pas moins de 50% des eaux usées qui sont réutilisées. La valorisation des eaux traitées a beaucoup d’avantages : on peut l’utiliser pour l’irrigation, la recharge des nappes, l’énergie etc…
Ce graphique (p 17 du diaporama) présente une planification de la mobilisation de la ressource en fonction de la demande en eau. La courbe bleue représente la demande et les ressources mobilisées sont représentées par le trait bleu. On essaye bien entendu de satisfaire les besoins en mobilisant les ressources au moment opportun. Mais lorsque les ressources conventionnelles sont épuisées, il faut bien utiliser les ressources non conventionnelles. Quand on parle de ressources conventionnelles on pense surtout aux traitements des eaux usées ou au dessalement d’eau de mer. On peut faire cette planification de deux manières : en mobilisant la ressource ou en gérant la demande.
Cependant, comment peut-on arriver à concilier les deux ? On gère la demande, comme l’a dit Mr Meunier en introduction, en se référant aux trois piliers que sont l’approche inclusive, le savoir-faire traditionnel et l’innovation. Nous appelons ça “la gestion intégrée des ressources en eau dans le cadre du concept du développement durable ». On assimile cela à des mécanismes qui travaillent en engrenages, et dans ce système, lorsque l’un se grippe, c’est le mécanisme entier qui se grippe. Par ailleurs, on peut considérer que le développement durable est centré sur l’eau car, quand lorsque l’on considère les 17 Objectifs de Développement Durable, près de 9 ODDs dépendent grandement du 6ème, à savoir l’eau et l’assainissement.
Pour arriver à notre objectif, il faut bien entendu appliquer la gestion intégrée des ressources en eau et il faut bien noter que l’homme est au centre du dispositif : il est donc absolument essentiel d’investir dans l’homme, comme cela a été souligné plus tôt par Mme Laronde. Il faut investir dans l’homme, Dans le dessin je montre une main qui actionne un robinet et derrière le robinet il y a le stockage, le traitement, et la mobilisation des ressources en eau. Et cette main a une action formidable sur toute la chaîne de la mobilisation de l’eau. C’est pourquoi il faut absolument investir dans la sensibilisation des populations avant toute chose.
Enfin il faut savoir utiliser toute la sagesse qui existe dans l’ensemble des civilisations. Dans la civilisation arabo-musulmane, par exemple, il y a une préoccupation pour les besoins des générations futures. A propos de sagesse arabo-musulmane, nous allons avoir, dans quelques minutes, une très belle illustration de ce qui se fait au Ksar Tafilelt, où j’ai appris qu’il y a une forte mobilisation de la population, à travers une approche participative qui permet une gestion rationnelle des ressources en eau.
Pour avoir accès à la présentation de M. Mokhtar Bzioui, c’est par ici