Deuxième session – La sécurisation des flux : relocalisations et espaces portuaires (1/5)
Claire Charbit, Cheffe de l’Unité Dialogues Territoriaux et Migrations. Centre de l’OCDE pour l’entrepreneuriat, les PME, les Régions et les Villes.
Idée 1 : Le premier des effets observés de cette crise ouvre la voie vers une nouvelle façon de penser la globalisation. La crise a provoqué une prise de conscience des dépendances, présentes sur de nombreux territoires notamment par rapport à la fourniture de « biens essentiels », terminologie restant d’ailleurs à définir. Même si avant la crise sanitaire, la globalisation n’était pas dans une phase de grand dynamisme, bien au contraire, elle était plutôt en phase de stagnation, cet épisode offre donc une opportunité pour penser la transformation du fonctionnement de la globalisation. Au niveau territorial, la crise a eu d’abord des impacts en termes d’emploi, et l’on constate des différentiels majeurs selon les territoires, du fait de leur spécialisation dans les échanges internationaux : plus les régions sont tournées vers l’import et vers l’export, plus le choc de la crise de la crise va être fort et va engendrer une menace sur les emplois.
Ainsi, les régions les plus touchées en termes de pertes d’emploi sont souvent les régions capitales, avec deux secteurs très impactés, celui des échanges internationaux d’une part et, d’autre part toutes les activités qui concoururent à la vie culturelle, touristique, etc. Les territoires qui se présentaient, avant la crise, comme des champions bénéficiant du fait que l’effet d’agglomération attire toute la richesse, se révèlent aujourd’hui un peu fragiles. Par ailleurs, il n’est aujourd’hui pas possible de prévoir s’il y aura une réallocation spatiale des activités humaines et économiques, mais on assiste à une réelle prise de conscience de la possibilité de travailler différemment : l’OCDE observe que les territoires les plus disposés à offrir des solutions de télétravail sont aussi les territoires urbains aujourd’hui les plus affectés.
Dans cette période de crise, les territoires littoraux, notamment portuaires, font preuve de réels avantages mais sont également confrontés à des défis importants. Les enjeux qui se posent à eux sont multipliés : défis environnementaux, mais aussi économiques et sociaux. Le modèle des métropoles portuaires, avec un affranchissement progressif de la tutelle de villes et des régions limitrophes et avec la concentration des transporteurs, ne peut être conçu sans penser globalement la ville et son hinterland et donc en relation étroite avec une gouvernance renouvelée.
Idée 2 : L’attractivité territoriale est un sujet à analyser avec attention car, en premier lieu, la mesure de l’internationalisation touche les régions et les territoires avant de toucher les pays, les Etats : on ne peut pas penser le positionnement international d’un pays sans mettre l’accent sur ses dimensions régionales. Localement, la vision traditionnelle des décideurs est souvent articulée, quand la question porte sur la globalisation et l’internalisation des territoires, autour du développement des exportations et des investissements. Cependant, la prise en compte des différentes cibles de l’attractivité territoriale est essentielle car, au-delà des investisseurs et des visiteurs, il ne faut oublier ni les talents ni les formations qui permettent leur émergence, deux mécaniques qui contribuent très fortement à la pérennité des systèmes locaux.
Toutefois, une coordination au niveau national concernant la stratégie internationale des régions est essentielle sur le plan de leur développement : si on laisse la responsabilité de l’attractivité des investisseurs étrangers aux régions, on risque de se retrouver avec un jeu à somme nulle car les actions entrecroisées de ces acteurs va engendrer une concurrence très forte entre les régions.
Idée 3 : Il convient donc, face à cette crise qui a impacté la globalisation, de définir des outils permettant d’assister les politiques de relance et, plus largement de trouver des leviers pour de nouvelles stratégies permettant de revivifier la globalisation. Il a été dit que la crise a consisté en un arrêt de certaines consommations et de certaines productions, sans oublier que le climat n’a plus été favorable aux investissements en raison des fortes incertitudes sur le futur. Pour autant, la crise n’a pas eu pour effet d’interrompre toutes les chaines de valeur, comme cela a été démontré dans les précédentes interventions en ce qui concerne la partie marchandises des ports, ce qui conduit à la résilience de ces acteurs économiques particuliers. Mais la crise a gelé d’autres chaines de valeur, notamment dans le secteur de l’aérospatial qui a été très impacté ou encore le secteur du tourisme qui a subi un choc très violent. Ce qui a généré un impact sur ce qu’à l’OCDE, nous nous appelons « les connexions », que ce soit entre les personnes, notamment avec les mesures de confinement, que ce soit entre les entreprises, entre les régions, entre les pays.
En effet, depuis quelques années, l’OCDE a mis en place une méthode originale d’observation basée sur la collecte de très nombreux indicateurs, ce qui lui a permis de mettre en relief plusieurs familles de « connexions internationales » :
– une famille de connexions humaines (les visiteurs, les touristes, les migrants),
– une famille de connexions d’affaire (import/export, investissements directs étrangers),
– une famille de connexions de connaissance (chercheurs étrangers, co-brevetage international, centres d’innovations),
– une famille de connexions d’infrastructures (hubs de transport, logistique) qui rendent possibles les autres connexions internationales.
Il est admis que la crise a généré la rupture d’une multitude de connexions, avec en premier lieu celle des connexions internationales. Ce qui permet à l’OCDE de proposer une méthodologie originale de mesure du positionnement des régions dans la globalisation. En France, il a été possible de dessiner les profils d’internationalisation des régions françaises, qui sont tous différents. Par exemple, la région Sud est très marquée par un profil orienté vers les connexions humaines.
Cette méthodologie, associée à l’étude des stratégies internationales des régions, permet de déterminer un certain nombre de marges d’amélioration. Par exemple, dans la plupart des régions françaises, la stratégie touristique n’a aucune relation avec la stratégie en matière d’infrastructure. Il n’y a pas forcément de cohérence entre les deux alors qu’il devrait y avoir une évidente synergie dans les politiques menées. Le modèle des connexions est essentiel, car les stratégies d’internationalisation comme de relocalisation ne peuvent être appréhendées, dans le dialogue avec les entreprises, sans afficher des connexions d’affaires et des connexions d’infrastructures de qualité, puisque la ressource rare, pour la relocalisation, c’est souvent le foncier. Sont également indispensables, les connexions humaines, car il est très ardu de relocaliser si on ne dispose pas des talents pertinents.
Idée 4 : Enfin, la question de la dépendance vis-à-vis des ressources essentielles peut engendrer des stratégies telles que la diversification des fournisseurs et une gestion des stocks qui soit moins en flux tendus. De la même façon, dans de nombreux plans de relance, qu’ils soient régionaux ou nationaux, il y a une grande partie accordée à la question de la relocalisation, même si cette réponse n’est pas, du moins pour les macro-économistes, une solution. En effet, ces observateurs considèrent que cela fausse la concurrence, qu’il n’y a pas vraiment d’effet au niveau national et, enfin, que les entreprises qui délocalisent ne relocalisent pas forcément sur leur territoire initial.
Si l’on prend en compte l’objectif premier de la relocalisation, qui concerne la souveraineté sur les biens essentiels, le projet peut être national, car il ne s’agit pas seulement de faire revenir des entreprises stricto sensu, mais bien d’être capable de produire à nouveau sur le territoire des activités qui étaient off-shorées à l’étranger. Si l’on suit d’autres objectifs, tels que celui de l’emploi, la relocalisation doit être ciblée territorialement. Prenons l’exemple de Kusmi Tea une entreprise de thé qui avait délocalisé très fortement certains segments de production et qui a choisi, il y a quelques années, de les relocaliser. Pour fournir ce bien sur le marché français au même prix que lorsqu’elle délocalisait certains composants, le seul moyen a été d’automatiser la production. On a effectivement gagné en relocalisation, elle a bénéficié du « made in France » et très certainement gagné des parts de marché, mais d’un autre côté, l’impact sur l’emploi, objectif second de la relocalisation, n’a pas été atteint car on a assisté à un développement de l’emploi qualifié, mais un affaiblissement de l’emploi non qualifié. Enfin, il ne doit pas être oublié non plus que les questions de relocalisation des personnes mais aussi des entreprises posent la question de l’accès aux services essentiels.
Pour avoir accès à l’intégralité de la présentation PPT de Claire Charbit<c’est par ici