Dans la perspective de notre prochain webinaire qui traitera, en octobre prochain, de la relation intime entre l’eau et l’énergie, dans la configuration maintenant mieux connue de la gestion intersectorielle des ressources (ou nexus), nous reproposons à la lecture de nos abonnés le contenu du webinaire Energie qui s’est tenu le 10 novembre 2022. Pour mémoire, sa thématique portait sur l’ « Acuité du défi énergie/climat en contexte euroméditerranéen ».
Rappelons-nous du contexte : l’agression de la Russie sur l’Ukraine avait fortement bousculé les relations géopolitiques, économiques mais aussi énergétiques aux marges de l’Union européenne, concernant notamment les schémas d’approvisionnement d’énergies fossiles en provenance de Russie. Dès le mois de juillet, l’UE avait décidé en urgence de réduire cette dépendance.
Le webinaire avait donné la parole à des experts méditerranéens : français, algérien, marocain et libanais. Le premier article, présenté dans son intégralité ci-dessous, reprend l’intervention d’ouverture de l’Ambassadeur Philippe Meunier, Directeur général de l’AVITEM.
Philippe Meunier – Ambassadeur et Directeur général ; AVITEM
En tant que Directeur général de l’AViTeM, je souhaite redoubler les remerciements à l’égard des orateurs qui vont intervenir. Nous sommes très heureux de vous avoir avec nous. L’AViTeM est une agence qui croit fermement en la coopération méditerranéenne. Nous avons décidé de faire ce webinaire car nous sommes sur un sujet grave dans la vie quotidienne de nos citoyens – Pierre a fait allusion à toutes les personnes vulnérables du fait de leur pauvreté, et il en est de même pour les PME… Je pense aussi aux collectivités territoriales qui sont en première ligne pour proposer des solutions au changement climatique mais qui sont aussi frappées par les questions du prix et de l’accès à l’énergie. La couverture de l’actualité, très forte sur ce sujet-là, dans les médias européens du moins, ne traite que peu de la Méditerranée. La dimension est surtout mise sur les questions d’approvisionnement et la crise que cela pose au niveau mondial et européen, mais un peu moins sur cet espace qui est très proche et très concerné en matière énergétique dans la crise que nous traversons.
La crise provoquée par l’agression contre l’Ukraine a révélé un certain nombre de fragilités et de vulnérabilités globales qui sont celles de nous (les sociétés) trouver dans une dépendance envers les énergies fossiles. Nous pouvons conserver l’espoir et faire le pari que ce soit un élément supplémentaire permettant d’avancer plus vite sur la question du défi climatique.
Je noterai deux axes d’intervention : le premier, pour me situer dans une optique méditerranéenne. Nos pays méditerranéens sont clés dans cette affaire et nous ne pouvons résoudre cette crise que de manière solidaire entre l’Europe et tous les territoires méditerranéens. Cela signifie un partenariat renouvelé, une coopération plus forte à l’échelle euro-méditerranéenne, parmi les rares possibilités qui peuvent être sources de solutions.
Le deuxième axe déclinera ce qui est en train d’être fait de façon efficiente au niveau méditerranéen notamment, et sur ce point, nos orateurs présenteront ce qui se passe sur les différentes rives sud et est de la Méditerranée.
Ce sujet a plusieurs facettes : économiques, sociales, environnementales, climatiques et géopolitiques. Tout est lié, c’est bien la difficulté du sujet. Nous devons appliquer des solutions – les solutions, on les connaît, elles commencent à être mises en place par tout le monde, elles sont diverses. Comme toujours en matière énergétique, il n’y a pas une solution unique, et c’est décisif car c’est à la fois la vie quotidienne qui est en jeu mais aussi la compétitivité économique de nos territoires. Mon propos se fondera sur les solutions dans une optique un peu volontariste : on parle souvent des solutions, on connaît les solutions incontournables, mais les appliquer nécessite de la détermination, des moyens et de la coopération.
I – Dimension méditerranéenne
Pour rappeler quelques éléments, la Méditerranée est au cœur de ce sujet à la fois avec des éléments positifs et des éléments inquiétants. Nos compatriotes sont réellement impactés par la guerre en Ukraine. Le rapport annuel de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), sorti récemment reprend un scénario sur la base des politiques appliquées actuellement par les États et non pas les améliorations qui seront apportées. C’est un scénario conservateur en contradiction avec la réalité de la situation climatique.
Selon l’AIE, la consommation globale du combustible fossile devrait atteindre un pic dans les dix ans à venir. La consommation de pétrole atteindrait un point culminant après 2035 avec un mix énergétique qui serait en 2050 à 60% sur les énergies fossiles contre 80% actuellement (27% pour le pétrole et 20% pour le gaz). Cela pose le sujet de l’adaptation et de mitigation climatiques, mais cela confirme surtout que la mer Méditerranée, en raison, entre autres, des transports maritimes, demeure un espace essentiel pour l’approvisionnement énergétique, notamment de l’Europe, à partir des gisements du Golfe et des importations qui viennent des pays riverains de la mer Noire.
Comme au XXe siècle, nous allons vivre encore quelque temps dans la situation où la mer Méditerranée est cruciale en matière de transport énergétique. Ces questions de transports et d’infrastructures sont déterminantes, comme le montre l’actualité avec l’exemple des tankers de gaz naturel liquéfié et les goulots d’étranglement constatés en Espagne ou sur la côte Atlantique. Cela a été peu signalé, mais c’est l’un des éléments qui font que la Méditerranée est déterminante en matière de transport et d’approvisionnement de combustible fossile.
II – La production énergétique
L’espace méditerranéen offshore ou onshore regorge de ressources (gazière, pétrolière, etc.) Avec l’Algérie qui est un grand pays à tout point de vue et sous l’impulsion de nos deux chefs d’État, un partenariat global renouvelé et ambitieux est en train de se développer. Ce partenariat devrait amener de nouvelles coopérations dans les domaines des infrastructures, de l’énergie, de la recherche et de l’innovation.
L’exploration et l’exploitation de nouvelles ressources gazières en Méditerranée orientale est un événement tout récent à l’échelle des prospections énergétiques. Cela suppose le renouveau du dialogue entre les pays voisins sur la base du droit international. Signalons l’accord historique qui a été conclu entre le Liban et Israël le 15 octobre 2022 sur les frontières maritimes et qui devrait permettre l’exploration et l’exploitation d’hydrocarbures offshores. C’est l’un des éléments qui permettra de contribuer à la prospérité de ces deux pays ainsi que de nombreux autres pays méditerranéens. C’est l’une des bonnes pratiques dans ce domaine, auquel on a assisté tout récemment.
Signalons également que, dans un cadre européen, une quarantaine de pays s’est rassemblée au sein de la communauté politique européenne pour la première fois début octobre à Prague à l’initiative du président Macron. Ce cadre est devenu une instance de dialogue sur l’énergie entre pays membres de l’UE et pays non-membres, avec la participation de pays producteurs tels que la Norvège ou l’Azerbaïdjan.
III – Le potentiel des énergies renouvelables
L’énergie photovoltaïque a, en Méditerranée, un potentiel énorme et fait preuve de réussites importantes, en particulier au Maroc avec une politique bien menée depuis pas mal d’années. Il y a un fort potentiel pour permettre aux populations d’accéder à l’énergie de proximité tout en étant moins dépendant des énergies fossiles -importées ou non. En Suède, il y a par exemple beaucoup plus d’électricité produite par l’énergie solaire que dans certains pays de la Méditerranée, alors que le contexte climatique et géographique y est moins favorable. Les éoliennes sont également très utilisées dans certains des pays du sud de l’UE comme l’Espagne. La géographie méditerranéenne avec sa proximité de la montagne et de la mer permet de stimuler la force des vents.
Dernier point dans ce panorama méditerranéen très cursif, en termes d’impact, la crise est très brutale pour toutes nos populations, pas seulement en Europe mais aussi au sud de la Méditerranée. L’objectif est d’obtenir une énergie abordable et durable. Quel que soit le niveau de développement, les populations, les PME et les collectivités territoriales commencent à être sérieusement affectées, et cela risque de s’étendre au-delà d’un hiver. Cela est sans commune mesure avec des situations d’autres pays tels que le Liban, où ce niveau dramatique de carence est amplifié par rapport à la réalité européenne.
Voici comment je vois la situation méditerranéenne, c’est un plaidoyer pour la solidarité et la coopération en Méditerranée, au-delà même du sujet de la crise énergétique. Quelles sont les solutions ? Nous devons être très volontaristes et consacrer les moyens et les réformes structurelles des marchés de l’énergie et de nos économies.
IV – Volontarisme et solutions incontournables
Je souhaite décliner cette dernière partie en trois volets :
1er volet : Sobriété de la consommation par les changements de comportements. Dans le cadre de l’UE, certains gouvernements ont pris des engagements de baisse de consommation énergétique et, simultanément des mesures de protection face à l’inflation. Toute cela est complexe, car les incitations à la baisse de la demande ne vont pas dans le même sens que la protection des consommateurs, deux priorités importantes. Il y a des limites pour les finances publiques à mettre en place des subventions à l’énergie, mais aussi des limites par rapport au climat à subventionner les énergies fossiles. On commence à avoir une baisse de la demande, mais très conjoncturelle et qui tient au choc de prix et au fait que des entreprises (par exemple dans le secteur de l’aluminium) travaillent moins en attendant que le coût de l’électricité baisse un peu. Ce sont les changements de comportements individuels et collectifs qui sont fondamentaux. Cela signifie travailler sur la base des sciences comportementales, en ayant en tête les inégalités de situations entre les personnes et les entreprises. Ne nous faisons pas d’illusions, les baisses actuelles ne suffiront pas.
2e volet : Il faut plaider pour des interventions réglementaires et des investissements accélérés permettant d’aller vers une nouvelle dynamique en matière d’efficacité énergétique, notamment en matière d’énergies renouvelables, mais aussi -et surtout- à la rénovation des bâtiments, qui représente réellement un traitement structurel de la précarité énergétique. La mauvaise performance des bâtiments va souvent de pair avec une faiblesse des revenus des habitants qui vivent dans ces bâtiments. En conséquence, les dépenses en matière énergétique sont très importantes. Il faut donc accélérer les programmes de rénovation des bâtiments. Des mesures ont été prises récemment : le Conseil des ministres de l’énergie de l’UE du 25 octobre a préconisé qu’à partir de 2030, tous les nouveaux bâtiments soient neutres et sans émissions, ces mesures devant prendre effet dès 2028 pour les bâtiments publics. Avant 2050, tous les bâtiments actuels doivent devenir sans émissions, sauf quelques exceptions limitées. C’est aujourd’hui le Parlement européen qui travaille sur ce projet de directives. En termes de coopération européenne, c’est une avancée forte, mais il faudrait à l’échelle européenne des dizaines de milliards d’euros pour financer cette transition. Je pense notamment aux institutions qui ne disposent pas du financement nécessaire pour financer cette rénovation et cette transition.
Dans les leviers actionnés par l’UE se trouvent la mise en place d’une contribution solidaire sur les surprofits des entreprises des secteurs des énergies fossiles, qui devrait permettre de dégager des moyens à l’échelle de l’UE et un plafonnement conséquent de la hausse du prix du gaz, laquelle entretient l’inflation en Europe. Ces réformes permettront de dégager des ressources importantes en matière de financement de programmes et de bouclier tarifaire pour les particuliers et les entreprises. Demeure l’importante question des surprofits évoquée par beaucoup de personnalités politiques, à l’instar du président américain Biden.
3e volet : Comment diversifier l’origine des approvisionnements et la réduction des dépendances vis-à-vis des énergies fossiles ? La France soutient une coordination européenne sur les achats de gaz, avec la possibilité de mettre en place des achats européens groupés de gaz naturel. Concernant le pétrole, les mesures européennes prises sur l’interdiction d’importation du pétrole russe vont entrer en vigueur à la fin de cette année.
La coopération, le dialogue, dans un cadre méditerranéen et euro-méditerranéen seront fondamentaux. La crise est grave. Le dialogue et la coopération en Méditerranée est indispensable, l’AVITEM et tous nos territoires y participent. Les solutions que nous connaissons doivent être mises en œuvre de manière accélérée et efficiente.
Pierre Massis : Effectivement, même dans un espace aussi bien doté que l’Union Européenne, la crise est sévère et la solidarité est de mise. L’Union Européenne a accéléré les livraisons en provenance de la Norvège, de l’Azerbaïdjan ou du Kazakhstan et autres, mais gardons en tête que l’Algérie demeure un partenaire historique.