Le 1er avril dernier, le Réseau des Aménageurs de la Méditerranée et Euroméditerranée ont organisé leur second webinaire de la série 2021-2022 intitulée « Regards croisés entre Acteurs de la ville méditerranéenne».
Nous vous présentons aujourd’hui la troisième intervention :
Mohammed Afakhri : Référentiel de l’Eco-cité Zenata,
Mesdames, Messieurs bonjour, je remercie d’abord l’AVITEM pour cet événement qui permet de nombreux échanges entre les expériences des villes et aménageurs autour de la Méditerranée. J’aurai le plaisir de vous parler de notre expérience au sein de la ville nouvelle de Zenata. J’ai parlé précédemment du référentiel de l’éco-cité et de la charte de développement durable mis en place depuis la phase de conception de la ville nouvelle de Zenata.
Ce référentiel englobe toutes les phases du projet : depuis la phase conception, en passant par la réalisation jusqu’à l’exploitation et l’usage. Comment est-il déployé au niveau des réalisations et de l’exploitation ?
Pendant la phase réalisation (PR) de l’aménagement de la ville et de la création d’infrastructures, réseaux et équipements publics (écoles, centres de santé, maison des jeunes, etc.), nous veillons à la prise en compte de la charte développement durable à travers des prescriptions déclinées dans nos contrats avec les entreprises de travaux. A chaque réponse aux appels d’offres par les entreprises, un cahier des charges environnemental et social obligatoire s’ajoute aux clauses classiques (administratives, financières, etc.).
Nous gardons le contrôle sur la PR à travers la contractualisation des exigences environnementales et sociales (E&S) avec les entreprises. Tout comme les contrats classiques dans lesquels sont prévues des mesures coercitives (en cas de défaillance de l’entrepreneur), nous avons également prévu un système d’amendes au cas où les entreprises ne respectent pas ces exigences E&S lors des travaux. Ces amendes sont calculées en fonction de l’ampleur des non-conformités constatées.
La responsabilité de la SAZ en étant garante de la cohérence globale du projet, porte en effet sur l’application des principes du développement durable, depuis la conception du projet jusqu’à l’usage.
Par ailleurs, il y a la partie concernant les promoteurs et les développeurs qui, in fine, construisent des logements pour les usagers finaux que sont les habitants. Il a fallu réfléchir des moyens et méthodes pour assurer les déclinaisons de notre charte développement durable sur l’ensemble du projet.
Promoteurs et habitants :
Les promoteurs sont engagés vis-à-vis de la SAZ avec des cahiers de charges signés lors d’une transaction foncière. Au niveau du titre foncier, une « pré-notation » est émise jusqu’à la phase de réception du bâtiment ; nous y reviendrons après. Pendant la phase conception du projet du promoteur, de nombreux échanges prennent place entre lui et la SAZ, afin de vérifier qu’il respecte le cahier des charges urbain et architectural. Certains promoteurs ont déjà des bureaux d’études, staff et architectes très avancés. D’autres promoteurs sont moins étoffés, mais ambitieux pour monter en compétences et être conformes aux exigences de l’Eco-cité. Alors la SAZ apporte son soutien technique et les accompagne pour y arriver.
En plus du cahier des charges urbain et architectural, il y a le cahier des charges environnemental et social qui trace les déclinaisons de notre référentiel et notre charte DD (exigences en confort thermique, vérification des logiciels utilisés en modélisation, éclairage des parties communes par énergie propre notamment les escaliers, installation de déshuileurs dans les parkings pour éviter de laisser s’écouler des huiles dans les égouts des eaux pluviales, etc.).
La SAZ se fait aider par une maîtrise d’œuvre technique composée de bureaux d’études et d’architectes.
Vis-à-vis des services de la commune, le promoteur doit respecter entièrement le cahier des charges urbain et architectural, afin de pouvoir disposer du permis d’habiter.
Cependant, il ne pourra pas « éclater les titres de propriété » sans recevoir au préalable un quitus à délivrer par la SAZ (pour une levée de la pré-notation inscrite auparavant sur le titre mère). De cette façon, nous conservons notre pouvoir de vérification du respect de toutes les exigences contractuelles.
Concernant l’habitant qui est l’usager final du bâtiment, nous avons pensé à des outils pouvant être déployés pour assurer cette continuité d’implication en termes de respect de la charte de développement durable après l’intégration du logement par l’habitant.
Par exemple, nous avons gardé un regard sur le règlement de co-propriété. Nous essayons de voir avec les promoteurs comment a été prévue la gestion des parties communes, s’il y a des panneaux photovoltaïques sur la terrasse, s’il y a des composts…
Nous veillons aussi à ce que l’habitant reçoive un guide d’exploitation qui intègre les fiches techniques de certains équipements pour mieux assimiler la phase maintenance, préventive et curative. Nous œuvrons avec la commune pour inciter promoteurs et habitants à mettre en place certaines opérations et solutions en terme d’actions, facultatives, mais que soutenons tout de même.
La ville :
Le partage des responsabilités est clair : nous nous occupons de l’aménagement, tandis que la commune prend la main pour assurer l’exploitation et l’entretien de la ville. Cependant, si les aménagements livrés ne sont ni entretenus ni gérés comme il le faudrait, le site risque de perdre de son attractivité. Nous avons donc réalisé une étude prospective de gestion des services urbains, portant sur l’analyse économique, financière et organisationnelle de la ville : il s’agit de déterminer comment la commune pourrait assurer la gestion et l’entretien des services urbains (des écoquartiers, parcs intelligents, etc.) avec des coûts mesurés. Cette étude permet de mettre en exergue les axes d’amélioration de la ville. En effet, il arrive que des grands projets urbains voient le jour dans des communes qui ne disposent pas toujours des moyens préalables pour les entretenir. Il est donc nécessaire de penser à appuyer la commune pour une montée en compétence.
L’étude a prévu également une évaluation de l’impact du plan d’aménagement sur les finances de la commune. Les résultats ont permis de mieux faire comprendre aux élus que le plan d’aménagement et les nouveaux m² plancher à réaliser, généreront de nouvelles taxes pour la commune. Nous avons fait des calculs d’’impact du plan d’aménagement sur les finances communales à court, moyen et long termes afin que les élus aient une meilleure vision de l’équilibre recettes/dépenses à divers horizons.
Ensuite, nous avons étudié avec la commune, les modèles de gestion de chaque service (transport, gestion des déchets, des réseaux…) afin de faire des études comparatives globales présentant des simulations coûts/recettes. Cet exercice a permis d’aboutir à un scénario de mode de gestion mieux adapté. Il n’y a jamais de scénario parfait, seulement ajusté et agile.
Modèle de gestion retenu :
Après avoir analysé les avantages/inconvénients de plusieurs modes de gestion, le scénario qui nous est apparu comme étant le plus approprié est celui d’une Société de Développement Local (SDL). En effet, elle :
- Présente un objet social large ;
- Exerce un rôle de pilotage / coordination de l’offre globale de services et de la relation usager ;
- Opère elle-même un nombre limité de services et peut s’appuyer sur des opérateurs économiques, via des contrats, pour la mise en œuvre effective des autres services.
Cette solution nous permet également d’avoir le contrôle sur la phase d’exploitation.
Plan de mise en œuvre du mode retenu :
Travailler ensemble (commune – SAZ) permet de répondre aux préoccupations de chacun. En tant qu’aménageurs, notre responsabilité sur le transfert de propriété doit être exemplaire. Le dialogue constant avec la commune et la mise en place d’une convention entre les deux acteurs doivent permettre de mieux comprendre les aménagements réalisés par la SAZ, le suivi auquel doit procéder la commune afin de préparer ce qui doit l’être pour passer à la phase réception, comment nous pouvons contracter les transferts de propriétés et comment gérer les divers services de la ville.
Une convention est donc indispensable pour définir clairement les modalités de transferts des biens, et le partage des responsabilités entre les deux parties.
L’étude a intégré aussi le renforcement des capacités techniques et financières de la commune (recrutement, achat de matériels…), et a mis l’accent, par exemple, sur le taux de recouvrement à améliorer. En effet, bien que le plan d’aménagement soit supposé générer plusieurs millions de dirhams (en termes de recettes fiscales), l’équilibre général repose sur le taux de recouvrement. Si ce dernier n’est pas bon, cela signifie que des actions doivent être effectuées.
Pour revenir sur la création de la Société de Développement Local, plusieurs critères doivent être pris en compte : sa composition, la ventilation des parts, la documentation permettant d’opérationnaliser la SDL avant de lancer les consultations qui ouvriront les contrats avec des opérateurs chargés de délivrer certains services.
——————————————————————————
Pierre Massis : Merci Mohammed. Pour le montage de la SDL, c’est bien la commune qui vient vous chercher, ce n’est pas l’aménageur qui impose quoi que ce soit ?
Mohammed Afakhri : Nous travaillons avec la commune afin de lui exposer les modes de gestion (la régie, la conception, l’affermage, etc.) mais nous n’avons pas qu’un seul service. Nous avions besoin d’un système hybride qui n’existait pas dans le modèle classique. La loi permet aux collectivités de créer des SDL dans lesquelles l’Etat est l’actionnaire majoritaire et où la commune doit avoir au moins 34% de capital, ce qui permet ainsi d’intégrer un opérateur privé, et générer des partenariats publics-privés ; ce qui peut produire de nouveaux services pour la commune. En faisant partie du tour de table de la SDL, l’aménageur participerait effectivement dans la phase d’exploitation. Il mettra à disposition ses aptitudes en termes de réflexion et de suivi.
Pierre Massis : cela vous donne aussi un moyen de pression supplémentaire qui vient s’ajouter à ce que vous disiez antérieurement sur l’éclatement des titres ? A un certain moment, le promoteur a la possibilité de « sectionner » les droits de propriétés pour les diffuser à ses clients. Cependant, l’aménageur peut s’y opposer en montrant que cela ne correspond pas au cahier des charges et que des améliorations restent encore à faire.
Mohammed Afakhri : En effet, avec les promoteurs, nous inscrivons une pré-notation sur le titre foncier à vendre . C’est le titre foncier mère objet de la transaction entre SAZ et promoteur, sur lequel va construire son immeuble, puis l’éclater en petit titres fonciers correspondant aux appartements à commercialiser par le promoteur.
Ce dernier sait d’avance que nous avons un droit de regard pendant toute la phase de suivi, nous l’accompagnons avec les bureaux d’études et les architectes afin que tout soit en phase. Si manquement il y a, nous le signalons au fur et à mesure. A la phase finale, nous pourrons vérifier que les non-conformités ont été levées par le promoteur, avant de lui délivrer un quitus. C’est, notre moyen de pression, vis-à-vis des promoteurs pour les amener à respecter, entre autres, le cahier de charge environnemental et social.
Sans ce Quitus, un promoteur ne pourrait pas éclater le titre mère pour finaliser ses contrats de vente avec les acquéreurs.
Pierre Massis : Je ne sais pas si les aménageurs de la Région Sud ont le même pouvoir juridique, mais c’est très astucieux. On est sur un espace de dialogue, de contrôle, de sanction pénale, mais nous voyons bien ici que l’aménageur dispose en plus quasiment d’une position « régalienne ».
Pour découvrir la présentation de Mohammed Afakhri, c’est en suivant ce lien