Édouard Morena
Ed. La Découverte, février 2023.
« Ces derniers temps, on s’est beaucoup focalisé sur le mode de vie des ultra-riches. Mais l’empreinte carbone des plus grosses fortunes passe surtout par leurs investissements. Oxfam et Greenpeace ont d’ailleurs publié une étude (que nous allons prochainement publier dans ces colonnes) se focalisant sur les actifs financiers des milliardaires français. Ils ont par exemple montré que 63 milliardaires émettaient autant de CO2 que la moitié de la population française. »
Édouard Morena, maitre de conférences en politique européenne et française à l’Institut de l’université de Londres à Paris (ULIP) et auteur du livre « Le coût de l’action climatique », décrit dans son dernier essai la formation d’une véritable conscience de classe climatique chez les élites économiques, bien informées des enjeux et plus que jamais impliquées dans l’agenda écologique.
Attirées par les promesses de profit qu’offrent les crédits carbone, elles érigent de nouvelles enclosures en privatisant les forêts tropicales, quand elles ne se mettent pas en scène lors de grandes conférences climatiques. Les ultra-riches parviennent ainsi, par le truchement de leurs fondations philanthropiques, de think tanks ou de cabinets de conseil, à orienter les débats pour promouvoir une vision techniciste et dépolitisée du changement climatique : un futur « bas carbone » , qui conforte leur position, sécurise leurs intérêts et garantit leurs profits.
« Car la crise climatique menace leurs investissements. S’ils ont des actions dans une entreprise pétrolière par exemple, cette dernière va perdre de la valeur en raison du changement climatique et des politiques publiques. D’autres actifs vont être directement confrontés au risque climatique comme des investissements dans des biens immobiliers soumis à la montée des eaux. Et c’est sans parler des politiques publiques ou des risques géopolitiques et sociaux liés à la crise. Les ultra-riches ont donc intérêt à agir sur le climat.
Dans l’ouvrage, j’essaye de montrer comment les ultra-riches poussent vers une transition qui permette de réduire les émissions de gaz à effet de serre tout en garantissant leurs intérêts en orientant le débat et en pesant sur les politiques publiques. C’est l’occasion, pour eux, de créer de nouveaux débouchés. Ils veulent passer d’un capitalisme fossile à un capitalisme vert. C’est au fond un projet politique très centré autour de l’idée que la transition va être portée par les acteurs privés, par les investisseurs… Le point central est l’innovation. À travers cette idée vendeuse, ils vont développer de nouvelles technologies, de nouvelles manières de s’enrichir. Ils se positionnent comme les moteurs de la transition.
Toutes les questions de justice sociale sont laissées de côté. Si ce projet peut amener à une réduction des émissions, il est centré sur un certain type d’acteurs. Il va entretenir les intérêts d’une minorité au détriment d’une majorité. Les cleantech par exemple, ont été très portées par la Silicon Valley dans les années 2000. L’idée était qu’elles allaient permettre de résoudre tout un tas de problèmes. Ces projets ont été largement soutenus par l’État fédéral américain par le biais de prêts garantis ou de crédits d’impôts. L’État a donc eu un rôle important dans leur prise en charge. Et si on fait le bilan, on peut s’interroger non seulement sur leur réussite en termes de réduction des émissions de CO2, mais surtout sur leur dimension sociale. Cette dernière n’a pas du tout été prise en compte dans ce projet de transition »…
Source : Novethic.fr