Le Réseau des Aménageurs de la Méditerranée a le plaisir de vous présenter le cinquième et dernier épisode du webinaire du 2 avril dernier. L’exercice a été mené dans le cadre de la série « Regards croisés entre acteurs de la ville méditerranéenne », co-construite avec Euroméditerranée. Il a porté sur la conception climatique de la ville. Cet épisode retranscrit les différentes questions qui ont clôturé le webinaire.
Pierre Massis : Monsieur Tibermacine, votre présentation suscite de la surprise. Je m’attendais à ce que ce soient les dispositifs en cour intérieure qui soient les mieux ventilés, les mieux adaptés aussi bien en termes de consommation énergétique qu’en confort thermique, à un exercice climatiques compliqué dans le cadre du milieu sec et aride de Blida. Il apparaît donc que les typologies en plot et en bande sont les plus performantes, et se différencient de l’îlot Allar en cour intérieure.
Charles André : Plus précisément, ce sont des îlots ouverts qui regroupent un système de composition avec des typologies en bande et en plot agencés en périphéries de l’îlot.
Pierre Massis : D’accord. Le béton a une forte présence dans ces constructions (parpaings, piliers en béton, etc.). Peut-être que la réponse réside dans le matériau utilisé, le béton n’est en effet pas très adapté aux conditions climatiques extrêmes. Selon vous, Monsieur Tibermacine, le choix de ce matériau a-t-il des conséquences ? Est-il possible d’imaginer qu’avec un matériau plus local, les résultats soient différents ?
Islam Tibermacine : Par rapport aux valeurs, non. Par rapport aux synthèses des résultats, oui. Les valeurs des résultats seraient différentes.
Pierre Massis : Très bien. Cela suscite-t-il des interrogations chez Euroméditerranée ?
Charles André : Oui, nous sommes aussi étonnés et devons reconnaitre que finalement la forme dense avec une emprise de sol et une ville un peu trapue ne correspond pas forcément. Cela interroge. J’ai une question concernant l’éclairage naturel des logements, une donnée d’entrée primordiale à Euroméditerranée, sans doute à cause de modes de vie plus nordiques. Cela induit, dans une démarche un peu inverse, une explosion de l’îlot, de façon à avoir le maximum de façades en contact avec l’extérieur, avec le paysage et la lumière. C’est peut-être là qu’apparaît une contradiction : nous essayons de diminuer le nombre de façades en interaction avec le climat malgré une envie bien présente de pouvoir vivre très éclairés. Est-ce que dans ces modèles, cette question du contact à l’extérieur, de la lumière naturelle et éventuellement de la manière de s’en protéger est prise en compte ?
Islam Tibermacine : Non, nous nous sommes concentrés sur le comportement thermique et énergétique des bâtiments. Le confort lumineux a été un peu négligé dans cette situation, mais je pense que oui, il y a bien un impact sur le confort lumineux.
Charles André : Finalement, les typologies que vous préconisez permettent de s’ouvrir très largement. Ce ne sont pas des typologies introverties sur une cour intérieure elle-même beaucoup moins ouverte. Ce sont des typologies qui ne prennent pas du tout le modèle initial et qui peuvent donc s’ouvrir. Ce sera toutefois la manière de s’ouvrir qui teintera assez fortement l’équilibre thermique du bâtiment.
Pierre Massis : Plus de fenêtre changeraient donc les résultats ?
Islam Tibermacine : Oui.
Mounia Bouali : Cela soulève en effet beaucoup de questions. Je m’inscris dans la continuité de ce que vous disiez : cette décomposition soulève aussi beaucoup d’interrogations liées à la compacité. Il est vrai que la question d’ouverture doit être prise en considération.
Pierre Massis : Nous voyons finalement, entre le modèle introverti et le modèle extraverti, comment réintégrer une partie intérieure. Mounia a ainsi présenté ces possibilités avec les chicanes, etc. Les usages s’adaptent, à l’instar du métier à tisser au milieu de la chicane pour bénéficier de l’aération et de la lumière grâce au moucharabieh, et qui monte à l’étage en hiver pour recevoir la chaleur du soleil. Il y a peut-être effectivement une sorte de voie médiane qui permettrait de réintégrer de l’introversion au sein des immeubles plus récents.
Charles André : Autre interrogation : sur les projections que nous menons, ces modèles sont faits sur des bâtiments autonomes passifs. Cela va à l’encontre du propos de l’interaction avec le bâtiment, et de faire que l’habitant interagisse sur son logement. Ce mécanisme permet de diminuer les moyens mis sur le bâtiment en nécessitant une interaction systématique de l’habitant pour adapter son cadre de vie. Y aurait-il une manière de faire rentrer dans ce type de modèle ce paramètre d’action humaine qui fera évoluer le bâtiment, dans son enveloppe par exemple, ou son usage en changeant de pièce en fonction des périodes de l’année ? Pourrait-ce être un paramètre intégrable venant transformer le bâtiment en fonction des saisons et minimiser les moyens mis en œuvre pour le protéger du climat (et donc limiter les dépenses comme les isolants, etc.) ? Pourrions-nous considérer qu’il y a une conception climatique ou saisonnière qui permet de typologiser certaines parties du bâtiment, certaines surfaces, certaines enveloppes mais aussi certains usages et qui permettrait d’être un peu plus méditerranéen dans la manière d’utiliser son espace de vie ? C’est une question complexe que je laisse en suspens.
Pierre Massis : Une experte du public nous répond en Commentaires que cela dépend des personnes. Dans son immeuble, certaines de ses amies maghrébines vivent quasiment dans le noir l’été, comme pas mal de personnes âgées marseillaises. En effet, l’usage s’adapte à la réalité des faits.
Charles André : Nous ne pouvons plus concevoir de cette manière. Sont même mis en place des dispositifs d’occultation qui se ferment tout seuls le matin sans aucune interaction voire compréhension du bâtiment par les habitants. Les gens ne passent plus la tête par la fenêtre, un volet automatique qui se baisse faire perdre une partie de la pratique méditerranéenne. Les normes de confort nous ont peut-être rendus un peu fainéants, nous interagissons beaucoup moins avec notre cadre de vie.
Pierre Massis : Monsieur Ben Amor a, concernant la ventilation une information intéressante : dans la typologie de logements en bande, il s’agit souvent de logements traversants ou doubles disposés côte à côte, avec une double profondeur. Nous retrouvons cette ventilation, ce passage de l’air : un appartement traversant n’a pas de mur qui clôt la ventilation, et c’est en effet bien plus ventilé.
Merci Monsieur Tibermacine, ce travail mené par l’équipe du laboratoire est fondamental et caractéristique de la doctrine méditerranéenne, même si les matériaux ne sont pas encore là. Cela témoigne d’une volonté de mieux faire, de permettre aux gens de vivre mieux tout en dépensant moins en confort thermique et énergétique.
Merci à tous, bonne fête de l’Aïd à nos amis du sud et du nord, et nous vous donnons rendez-vous pour notre prochain webinaire, le 16 juin, qui traitera de l’optimisation de l’utilisation des toitures.