Après avoir partagé avec nombre d’experts, de responsables territoriaux, de chercheurs et de startupers, des réflexions constructives sur deux ressources fondamentales en Méditerranée, l’eau et l’énergie, notre travail nous invite, dans une nouvelle session de 13 interventions, à nous interroger collectivement sur une autre ressource, les déchets.
« Les déchets, une ressource ? » Si l’affirmation n’est pas immédiatement évidente, nous allons voir pourquoi et comment les intervenants de ce troisième webinaire, qui s’est tenu le 3 juin dernier, soutiennent cette position.
Pour mémoire, le webinaire du 3 juin est le troisième d’une série de quatre, destinés à traiter de la rareté de ressources emblématiques de la Méditerranée, mais aussi des solutions, traditionnelles comme innovantes, qui s’appliquent à la recherche, à la conservation et à une gestion optimisée de celles-ci.
Voici la première contribution : Intervention de l’Ambassadeur Philippe Meunier, Directeur général de l’AVITEM
Bienvenue à tous, une nouvelle fois nous sommes très satisfaits de votre présence à ce webinaire. Je pense aux intervenants mais aussi aux auditeurs qui sont de plus en plus nombreux à suivre nos webinaires.
Je tiens à saluer tout particulièrement nos partenaires algériens ainsi que les représentants de nos territoires qui sont membres de l’AVITEM. C’est un troisième webinaire, et je présume que vous avez suivi les premiers, qui s’inscrit dans cette logique qui consiste à la fois à apprendre des savoirs traditionnels et en même temps de les mettre en synergie avec des solutions innovantes afin de développer une pratique plus économe, plus frugale et cela dans divers domaines. Ce matin nous aborderons le sujet de la gestion et de la valorisation des déchets. Nous débordons ainsi par rapport à la thématique du changement climatique. Cela dit, c’est tout à fait justifié car c’est un sujet prioritaire dans l’activité de l’AVITEM. A ce sujet Karim, collaborateur de l’AVITEM, viendra vous expliquer que nous sommes très impliqués dans cette problématique à travers, notamment, la participation à un projet européen, le projet Med-INA.
Avant de laisser la parole à Pierre j’aimerais faire quelques commentaires en ce qui concerne la gestion des déchets, sans vous abreuver de chiffres sur les plastiques, ou autre. Il y a un papier qui a été produit par Pierre et qui pourrait être diffusé. Donc, je ne rentrerai pas dans les chiffres qui peuvent être alarmants, mais plutôt dans une explication sur pourquoi la gestion des déchets est une priorité pour nous, habitants de Méditerranée et pour l’AVITEM. J’élargirai ensuite mon propos sur la question de l’économie circulaire, puisque la problématique des déchets est un bon moyen d’entrer ou de revisiter cette thématique de l’économie circulaire.
Pourquoi la gestion des déchets ? Ici comme ailleurs, la science est rarement en retard, car cela fait plus de 50 ans que les scientifiques ont souligné que le défi de la poursuite ou non de la croissance économique ne repose pas uniquement sur les questions d’épuisement des ressources, et de ce point vue-là ce n’est pas simplement une action sur les mécanismes de prix qui va régler la question, il s’agit bien de parler de la production grandissante des déchets et de la capacité de la biosphère à pouvoir les assimiler qui est une préoccupation et une menace. Cet aspect vient s’ajouter et renforcer la problématique du réchauffement climatique.
Concernant les raisons pour lesquelles les pays européens ont un intérêt majeur à remédier à la mauvaise gestion des déchets, elles sont multiples et je vais en citer quelques-unes.
Le premier argument porte avant tout sur les caractéristiques géographiques et économiques du bassin méditerranéen qui aggravent les effets négatifs de la mauvaise gestion des déchets. La mer Méditerranée est une mer quasi-fermée, et de fait, certains phénomènes polluants deviennent encore plus impactants que sur d’autres géographies. J’ajoute que, pour avoir vécu dans différentes parties de la Méditerranée, la question des plastiques est complexe car ce sont souvent les courants qui amènent les plastiques des pays voisins. Que ce soit une réalité récurrente ou non, cela pose le problème de l’action et de la gestion collectives. Évidemment, il y a aussi l’activité économique dans son ensemble, et là, je pense au secteur du tourisme : la population varie et s’accroît considérablement en fonction des périodes de l’année, ce qui, il faut bien le dire, suscite une forte production de déchets supplémentaires.
Le deuxième argument, qui n’est pas vraiment une caractéristique de la Méditerranée, c’est qu’on arrive très souvent à des situations où se sont les organisations criminelles qui sont actives et « mandatées » en termes de gestion des déchets. Sans porter de commentaire sur la manière dont elles le font, efficace ou pas efficace du point de vue écologique, cela pose un sérieux problème en tout cas de lutte contre la criminalité, de redevabilité, et de qualité des services.
Troisième argument : il y a un véritable potentiel de création d’emplois sur ces « ressources » que constituent les déchets. Je dis ressource car, nous le verrons par la suite, il faut modifier notre angle de vue sur cette question.
Dernier argument : la gestion des déchets est un bon moyen de faire en sorte que l’ensemble des acteurs s’approprie les enjeux territoriaux, étant donné que les solutions passent bien sûr par les techniques et par l’innovation, mais aussi par l’implication des populations. Et donc l’implication de ces différents acteurs est indispensable, ce qui en fait un sujet très inclusif à la fois dans la production des déchets, puisque que nous avons tous une forme de responsabilité, mais aussi dans les solutions puisqu’il est crucial d’impliquer les acteurs et les individus dans la conception de ces solutions.
Voilà quelques raisons « méditerranéennes » pour s’attaquer à ce sujet avec évidemment, et vos interventions le montreront, un certain nombres de nouvelles méthodes, de nouvelles pratiques, d’innovations en tout genre qui permettent de trouver des solutions.
Maintenant j’aimerais élargir mon propos à la problématique de l’économie circulaire. Ici sont rassemblés bon nombre de spécialistes du sujet et j’imagine que vous savez tous que la gestion des déchets en fait partie. L’objectif est de sortir d‘une économie linéaire qui repose sur un processus de création de richesses, fondé sur la conversion de ressources naturelles en déchets au final. C’est un peu comme cela que la science économique traditionnelle nous présente les choses. Personnellement j’ai toujours été frappé par le fait que, dans le vocabulaire économique, on parle toujours des facteurs de production dans lesquels on trouve les dotations initiales. Les dotations initiales sont un moyen désincarné de parler des ressources primaires, des ressources naturelles alors que ces ressources en premier lieu viennent de quelque part et, en second lieu, ont un potentiel qui n’est pas censé disparaître après une utilisation unique. C’est vraiment cette logique là qu’il faut remettre en cause en se posant la question de comment valoriser, comment créer des ressources à partir de choses qui sont considérées au départ sans valeur ? Je caricature un petit peu mais cela correspond assez bien au raisonnement économique traditionnel, c’est-à-dire celui qui est en fonction depuis le début du 19ème siècle.
Quelle est la méthode pour engager ce mouvement ?
Le territoire doit devenir une composante à part entière de la création de valeur dans une optique de durabilité, ce qui veut dire que l’économie circulaire est cruciale mais de notre point de vue, cela doit être conjugué à une réflexion sur l’économie territoriale et de proximité. Mon propos n’est pas de contester la mondialisation, il s’agit plutôt de dire qu’en conjuguant le territoire et l’économie circulaire nous arrivons à des choses intéressantes. De ce point de vue-là, je souhaite vous proposer deux illustrations.
Une première illustration est celle des salines. Les salines artisanales sont toujours en fonctionnement dans de nombreux endroits. Elles sont reconnues par plusieurs spécialistes comme plutôt favorables au maintien des écosystèmes. Ces salines, qui sont vieilles comme la Méditerranée, ont cette caractéristique d’être répandues sur tout le bassin. Elles ont toujours été considérées comme essentielles premièrement parce que depuis toujours les ports ne pouvaient se passer d’avoir leurs propres salines comme condition de leur autonomie ; deuxièmement parce que le négoce avec les paysans de l’arrière-pays se basait essentiellement sur le sel ; et troisièmement car la technique des salines était élémentaire et très saine, puisque l’énergie vient du soleil, le sel vient de la mer, et le vent est l’intermédiaire qui permet d’arriver au produit final.
Deuxième illustration. Je crois que la France a essayé de mettre en avant juridiquement sa conception d‘une économie circulaire à dimension territoriale, ce qui est un travail important. Plus exactement une économie circulaire qui se préoccupe de minimiser l’impact environnemental des déchets, portant évidemment sur les 3R (réduire, réutiliser et recycler), mais aussi en mettant en place une gouvernance territoriale pour y arriver car sinon ça risque de ne pas marcher. Dans la période récente, nous avons adopté en France deux lois qui vont dans ce sens. D’une orientation générale, on glisse vers une priorité qui se traduit en actes gouvernementaux, même s’il reste ensuite à les appliquer sur le terrain. Le premier texte est la loi du 7 août 2015 sur la nouvelle organisation territoriale et la création des nouvelles régions qui ont reçu un rôle de chef de file. Par ailleurs, ce texte mentionne explicitement la question de l’économie circulaire. Le deuxième texte, plus récent, est la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire. On retrouve là un engagement de longue date, celui de l’ADEME qui a beaucoup travaillé sur ces problématiques. Et on retrouve aussi l’idée que le territoire devient une composante à part entière de la création de valeur dans une optique de durabilité. Le mandat de l’AVITEM s’insère très bien là-dedans, c’est-à-dire une conjugaison entre les collectivités publiques d’un côté qui doivent gérer leurs territoires et de l’autre l’économie circulaire qui s’appuie sur un certain nombre de savoir-faire traditionnels et qui valorise les innovations que peuvent apporter le secteur privé.
Je vais continuer à vous écouter attentivement, et je pense que c’est en associant tous ces éléments de doctrine que j’ai évoqués que l’on peut trouver ou ordonner les solutions intéressantes que vous allez présenter.
Merci à tous, merci aux participants, et je redonne la parole à Pierre !
Pierre Massis : Modérateur
Merci Monsieur l’Ambassadeur, très belle introduction ! Vous posez magnifiquement la problématique en signalant la réponse territoriale en termes de création de valeur dans une optique de durabilité. Vous citez l’économie circulaire, les savoir-faire traditionnels, l’innovation, ce qui nous fait entrer de plain-pied dans notre sujet. Suivant vos propos, on saisit l’évidence que c’est le territoire qui peut fournir la bonne réponse, le territoire en général, mais aussi et surtout le territoire méditerranéen que nous partageons tous.
Avant de lancer la première session je souhaiterai faire simplement un petit point auprès de nos participants. Première chose à vous dire, nous avons l’honneur de travailler avec la fondation Amidoul du Ksar Tafilelt qui sont nos partenaires algériens mais aussi oasiens. Deuxième remarque pour vous présenter le livret que nous avons réalisé ensemble avec nos partenaires du Ksar Tafilelt sur les savoirs traditionnels et leur capacité à se conjuguer avec l’innovation. C’est un ouvrage que nous souhaitons être de référence et qui paraît pertinent jusqu’alors auprès de l’ensemble de nos partenaires. Si vous souhaitez le télécharger, c’est en suivant ce lien. Enfin, la synthèse graphique de ce webinaire, comme des trois autres, est réalisée par notre collègue Giulia David que nous remercions.