Dans la continuité de l’Atelier #1, réuni à Gênes les 16 et 17 mai derniers en lien avec deux autorités portuaires majeures, le Grand Port Maritime de Marseille-Fos et le Porto Antico de Gênes, qui portait sur la réorganisation des fronts de mer et des relations ville-port (port urbain, port aménageur et le port intelligent), l’Atelier #2 du Réseau des aménageurs s’est tenu le 11 septembre au Grand Port Maritime de Marseille-Fos (GPMM). Après un accueil de Frédéric Dagnet, le Directeur Prospective Evaluation/Ville-Port au GPMM, deux tables rondes se sont enchainées pour traiter d’une part de la mixité des usages ville-port et du développement urbain, et d’autre part de l’intégration urbaine, l’innovation, l’inclusivité et la durabilité des ports urbains. Des intervenants du GPMM, de l’Université de Thessalonique, d’Euroméditerranée, de la Direction générale des infrastructures terrestres et maritimes (DGITM) de l’Association Internationale Ville-Ports (AIVP) et du Port de Tanger-ville ont échangé sur ces thématiques pendant trois heures.
S’il est admis par tous les intervenants que les villes portuaires se sont historiquement construites dans l’ombre de leur port, rendant ainsi consubstantiel le lien entre la ville et le port, la relation entre les deux organismes sont souvent tumultueuses. Pivots de l’économie globalisée, les ports jouent un rôle fondamental dans le développement des activités économiques, qui rejaillissent sur les territoires environnants. A la suite des restructurations des espaces portuaires, voire de leur déplacement pur et simple, on a assisté à une véritable redécouverte des potentiels de développement urbain du littoral. Suivant une logique forte de rationalisation spatiale, il a été procédé à une valorisation économique des espaces du domaine portuaire désaffectés vers des usages urbains. Des projets d’aménagement intégrés ont été imaginés, visant au développement de la mixité fonctionnelle, associant activités portuaires et fonctions urbaine. Par ailleurs, il a fallu résoudre l’équation entre la recherche d’une nouvelle qualité de vie urbaine directement sur le littoral et les contraintes de fonctionnement et nuisances de certaines activités industrielles et portuaires. Cet accès direct à l’eau et les vues sur le port constituent un facteur déterminant de valorisation immobilière urbaine, mais aussi de reconnaissance de l’identité urbaine portuaire.
Le mot d’accueil de Frédéric Dagnet permet de dresser un contexte général sur le rôle des ports dans une économie maritime et urbaine, et notamment du port de Marseille au regard de son activité industrielle et de sa volonté d’ouverture vers une mixité avec la ville.
La table ronde #1 débute par une introduction de l’Ambassadeur Valero qui souhaite rappeler la cohérence méditerranéenne dans laquelle s’inscrit de la démarche entreprise par l’AVITEM.
Puis, première intervenante de cette table ronde, Madame Hastaoglou-Martinidis, professeur émérite à l’Université Aristote de Thessalonique procède à une très complète présentation de l’évolution des usages ville-port et de sa réactivation par les projets de requalification des sites portuaires en Méditerranée orientale. Elle illustre ainsi sa démonstration par des exemples de ports tels que Beyrouth, Izmir, Alexandrie, Istanbul, Haïfa et bien sûr, Thessalonique. Ce qu’il faut retenir de son propos est que, si les projets de réhabilitation sont de formidables outils d’innovation et de développement urbains, ils sont aussi soumis à deux risques avérés : une privatisation excessive et le traitement uniformisé des ressources patrimoniales des espaces requalifiés, ce qui a comme résultat une perte massive de l’identité des territoires concernés.
Frédéric Dagnet, dans le prolongement de son ouverture, précise que la vocation première du port reste son activité industrielle et commerciale. Cependant, le port opérateur devient à son tour un port aménageur, avec la rédaction de deux documents fondateurs de cette dynamique : la Charte Ville-Port (signée en 2013) et la Charte Métropole-Port, qui inscrivent toutes les deux le Port de Marseille comme un acteur de la cohésion métropolitaine de ce territoire. Frédéric Dagnet rappelle également que les opérations de mixité entre la ville et le port de Marseille ont débuté avec le Silo (qui a failli être rasé) de 2007 à 2011 , se sont poursuivies avec les Terrasses du Port et trouveront une autre déclinaison avec la Passerelle du J1. Enfin, les messages du GPMM portent également sur la responsabilité sociétale et environnementale de l’acteur portuaire : dialogue et concertation continue avec les associations de riverains, engagements de respect des normes environnementales, notamment sous l’égide de l’Agenda AIVP de 2030, pour aller vers un port vert, un port à énergie positive, un port innovant et créateur d’emplois.
Dernier intervenant de cette table ronde, Rémi Costantino de l’EPA Euroméditerranée, rappelle les liens qui structurent la relation entre l’EPA et le GPMM : motivations fondatrices de l’Opération d’intérêt national (OIN) liées à l’hinterland portuaire, gouvernance imbriquée (participation croisée aux instances) et apport de la Charte Ville-Port. Il précise que si le périmètre initial de l’opération (1995 – 310 hectares) portait une logique de substitution fonctionnelle de l’hinterland avec, notamment le travail sur les infrastructures liées à la logistique portuaire, l’extension de 2007 (170 hectares) a plutôt concerné la mixité des usages ville-port avec une « tentative » d’imbrication des fonctions. Ce travail appelle, pour M. Costantino, une relative vigilance car les espaces portuaires, artificiels par nature, conservent des codes différents de ceux des espaces urbains : nuisances contre cadre de vie, enjeux différenciés. Mais aussi de réelles opportunités qui sont dégagées en fonction de la valeur des espaces, de l’identité qui découle de l’appartenance à ce territoire et bien sûr des activités économiques qui en résultent.
La table ronde #2 est introduite par Alain Lecomte, président du Réseau Vivapolis, partenaire de l’Atelier Matinale de ce jour. Monsieur Lecomte présente le réseau Vivapolis et ses activités.
Pierre Franc, adjoint au chef de service à la DREAL PACA, Service Transports Infrastructures et Mobilité, représentant la Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGTIM) du Ministère de la Transition écologique et solidaire est le premier intervenant de cette seconde table ronde. Mettant en perspective les propos des orateurs précédents, il les développe dans un contexte national, celui que porte la DGTIM. En effet, pour lui, la relation ville-port doit opérer une dynamique au service du développement durable des ports. C’est ce qui se passe à Marseille depuis le lancement du dialogue entre les autorités portuaires et les autorités locales, suivant deux exemples récents : le transfert des terminaux passagers Maghreb au Cap Janet et du terminal passagers Corse à Arenc et la requalification du J1. Très actif dans le soutien de la responsabilité environnementale du GPMM, la DGTIM s’implique pour appuyer l’acteur portuaire dans son action visant à installer le branchement à quai des navires ainsi que dans le cadre d’une expertise destinée à aider au développement du transport combiné en lien avec les ports (port-terminal maritime/chantier rail-route).
Le directeur général de l’AIVP, Olivier Lemaire présente à son tour les actions entreprises par l’Association pour répondre à l’enjeu de la durabilité des ports. Face aux défis globaux et aux attentes citoyennes, les ports doivent incarner une véritable exemplarité à travers l’acceptation et la prise en compte de plusieurs transitions (« crossovers »). Ce qui importe aujourd’hui, c’est la redécouverte de l’espace portuaire, son intégration dans la ville dans les meilleures conditions et les relations apaisées au sein d’une nouvelle dynamique économique favorable au développement durable : biodiversité, économie circulaire, transition énergétique, capital humain, intégration sociétale (citoyenneté, formation, innovation…).
Enfin, dernier intervenant de l’Atelier, Monsieur Ouanaya, directeur général de la Société d’aménagement pour la reconversion de la zone portuaire de Tanger ville. Après le déplacement du port industriel et commercial de Tanger et de toutes ses activités entre 2006 et 2010, le port de Tanger ville conserve, dans le nouveau projet, des activités de pêche, de croisière, et de fast ferry. Cette opération est, pour le Maroc le premier projet de reconversion d’un site portuaire ; il possède à la fois une dimension portuaire et urbaine, et une dimension touristique et culturelle. Ce dernier élément n’est pas neutre car il s’agit de positionner le port de Tanger et, au-delà la ville de Tanger, comme une destination phare du tourisme de croisière et de plaisance à l’échelle de la Méditerranée. Pour ce faire, le projet comprend la reconversion du port de pêche en port de plaisance, l’installation de la plus grande marina de la région et le maintien d’une dimension portuaire avec la construction d’un nouveau port de pêche. La dimension urbaine, quant à elle, n’est pas oubliée puisque le programme comprend la construction d’une mosquée, d’un centre commercial artisanal et d’une esplanade qui autorise un accès direct au littoral. Entamé en octobre 2010, le projet a été livré en mai 2018, à quelques aménagements prêts tels que celui du téléphérique, encore en phase d’étude. Pour le représentant du port de Tanger ville, cette opération est exemplaire de la capacité de l’ensemble des autorités concernées à dialoguer entre elles, à définir un objectif commun et à élaborer un Master plan équilibré, distribuant les espaces publics et les surfaces privés, traduisant la nouvelle identité du territoire à travers des bâtiments emblématiques restaurés et reconvertis, enfin à faire du site un lieu vivant et animé, sur la base d’une reconversion respectueuse de l’environnement.
Retranscription complète de l’atelier