Nous poursuivons la mise en ligne des interventions des orateurs du dernier webinaire, consacré au low tech en Méditerranée.
Pour mémoire, le webinaire du 1er juillet est le dernier d’une série de quatre, destinés à traiter de la rareté de ressources de Méditerranée, mais aussi des solutions, traditionnelles comme innovantes, qui s’appliquent à la recherche, à la conservation et à une gestion optimisée de celles-ci.
Voici la seconde intervention de la première session, celle des experts méditerranéens :
Intervention de Patrice Auzet : Responsable du Groupe de Travail Société Civile Conseil Consultatif sur les déchets, Pays d’Aix
Bonjour à tous.
Dans la présentation que je m’apprête à faire, je vais adopter une démarche d’ingénieur. Je vais vous parler de ce que l’on pourrait qualifier d’installation low-cost, puis je vais partager avec vous un exemple puisque je travaille actuellement sur la problématique du traitement des déchets. Enfin, en troisième lieu, je vais élargir mon propos aux solutions technologiques low-cost qui existent à travers le monde, pour tenter une approche sur ce qui a fait que la technologie s’est de de plus en plus spécialisée au cours du 19ème siècle. Il s’agira finalement de déterminer concrètement, comment, si l’on souhaite initialiser des phénomènes de résilience, choisir les solutions low-cost adaptées et les orientations les plus pertinentes.
Pour quelles raisons utiliserait-on des installations low-cost dans le traitement des déchets ?
Dans le respect des consignes nationales, nous nous sommes interrogés, sur le pays d’Aix, sur l’objectif de réduire de 50% les déchets d’ici 2025. L’idée de base consiste à enfouir de moins en moins de déchets et donc la solution qui s’impose, quand on connait l’analyse de la nature des déchets, vise à réduire les déchets putrescibles, qui constituent quasiment 24% du contenu des poubelles dans les pays occidentaux. Or, si dans nos pays occidentaux les traitements de nombreuses matières telles que le plastique, le verre, les magazines, le papier, le carton et les textiles existent, ces pays n’ont pas encore su développer de traitement efficace pour gérer les déchets putrescibles. Cet état de fait rend pour l’instant impossible le fait de considérer les déchets putrescibles comme une ressource.
La question serait donc : comment réduire mais aussi comment traiter ce déchet putrescible ?
Pour cela, nous utilisons à l’heure actuelle des installations extrêmement capitalistiques qui sont simplement constituées d’un méthaniseur, à l’intérieur duquel on va stocker des déchets en dégradation sans oxygène, et de cette manière produire, d’une part du méthane que l’on va réinjecter en gaz de ville, et d’autre part de la chaleur. Ce déchet une fois traité, sera transformé en compost dans des installations de maturation du compost.
Pourquoi est-ce que je vous parle d’une installation extrêmement capitalistique dans un webinaire consacré à la low-tech ? Pour rappel, une installation comme celle dont je vous parle coûte aujourd’hui 9 millions d’euros. Elle est en capacité de transformer 35 000 tonnes de biodéchets par an, de réduire massivement les déchets destinés à l’enfouissement et de produire annuellement 900 kilowatts sur 9000 heures par an. Ce qui montre bien qu’on est très loin d’une initiative low-cost et/ou low-tech. Mais il se trouve que cette solution extrêmement capitalistique et technique existe également dans des modèles beaucoup plus artisanaux et simples, en repartant du même concept, c’est-à-dire en injectant des bio-déchets voire des déjections animales, etc. Ensuite, on fait une « digestion » en aérobie de manière identique, sauf que cela ne se fait plus dans un bâtiment qui coûte 2 à 3 millions d’euros, mais dans un plus petit réservoir sans oxygène. C’est en partant de ce montage qu’on va tirer une utilisation du méthane. Dans l’exemple que vous avez vu, on a des gros générateurs de 900 kilowatt qui tourne 24/24. Les modèles plus petits peuvent très bien être utilisés pour la cuisine de tous les jours, avec un premier impact favorable qui permet d’éviter que cet aspect de la vie quotidienne ne consomme des ressources naturelles comme le bois, qui se raréfie de plus en plus en Afrique par exemple. Et puis l’engrais produit est utilisé de manière assez industrielle aujourd’hui, mais dans les montages plus modestes, il pourrait servir à la production locale, maraîchère et voisine.
Concrètement, qu’est-ce que ça pourrait donner ?
Vous avez vu dans l’exemple précédent une usine imposante d’un coût d’environ 9 millions d’euros. A l’autre extrême, on peut en effet trouver des « bio-digesteurs » qui servent à 25 familles au Sénégal. Il s’agit en fait d’une cuve en béton, avec deux tubes en PVC, un dôme en béton, le tout consistant en une installation fermée et reliée simplement par des petits tuyaux en caoutchouc qui vont amener le gaz à des populations qui sont en réalité très éloignées des énergies classiques que l’on connait dans nos environnements occidentaux. Cela va leur permettre de se chauffer, d’avoir de l’électricité, donc de la nourriture chaude sans consommer les ressources naturelles, notamment cette ressource locale de plus en plus rare, le bois. Tout cela pour faire comprendre le lien qui sous-tend une solution industrielle immensément onéreuse et sa déclinaison en solutions low-cost et low-tech qui remplissent les mêmes fonctions mais avec des investissements bien moins importants. Cette solution, que j’ai vu fonctionner au Sénégal, représente un investissement maximum de 15 000€ pour 25 personnes ce qui est bien plus raisonnable pour une solution qui, de plus, reste locale.
En termes de solutions, on peut aussi parler d’aérogénérateurs qui font jusqu’à 2 mégawatts dans les pays européens et qui valent jusqu’à 2 millions d’euros. Il est aussi possible de trouver sur le marché des éoliennes low-tech qui font 1000/1500 watts et qui coûtent 5000€. On utilise donc la même énergie, on transforme de la même façon d’un point de vue technologique, avec un coût bien moindre et des solutions bien plus locales. Je citerais aussi les chauffe-eaux solaires à partir de panneaux industriels que l’on voit ici, adaptés en solutions extrêmement simples (diapo page 6). Je vais enfin citer un dernier exemple low-tech et low-cost qui est assez marquant et qui pourrait être répliqué sur d’autres territoires. Il s’agit d’une centrale hydroélectrique. Les centrales hydroélectriques telles qu’on les connaît dans le monde industriel, ça peut être par exemple un gros barrage qui va produire plusieurs mégawatts tout en constituant un investissement extrêmement capitalistique. À côté de cela, (diapo page 6) on peut voir une solution mise en place en Amérique du Sud. Il s’agit d’un petit ruisseau qui a été dévié et sur lequel on a implanté une petite centrale hydroélectrique qui va produire de l’électricité pour 10, 15, 20 familles selon la taille de la cheminée.
Tout cela pour dire que notre industrie s’est modernisée au fil des années, et que cela a conduit vers une réflexion sur ce que pouvaient être les industries low-tech et low-cost. J’ai souhaité faire cet exercice de revenir aux fondamentaux, c’est-à-dire l’industrie du 19ème siècle, en me demandant pourquoi on avait densifié, pourquoi on avait apporté de plus en plus de technologie et surtout pourquoi on n’était pas capable de revenir en arrière. D’abord, au début du 20ème siècle, le monde connaît un essor économique très important. C’est l’apparition de nouveaux modes de production très capitalistiques qui permettent de centraliser les profits, et cette évolution passe notamment par les industries lourdes. Ce mouvement est accompagné par la révolution des transports, avec de nouveaux canaux de distribution : le chemin de fer et les routes. De même pour l’électricité qui devient de mieux en mieux distribuée au sein des pays industrialisés. Ces innovations de transport et d’énergie ont permis d’acheminer les ressources des lieux d’extraction vers les lieux de transformation en énergie et de production des produits finis, sur la base des spécialisations technologiques. En parallèle, la concentration du capital et la spécialisation des produits financiers ont favorisé les grands projets.
Je me suis ensuite demandé pourquoi et comment on pouvait faire un recentrage afin de favoriser la résilience et revenir aux fondamentaux.
Aujourd’hui, les indicateurs montrent que nous vivons un ralentissement économique, ce qui nous met en position justifiée pour adopter de nouveaux modes de production et de consommation moins capitalistiques et favoriser les solutions low-cost. Nous disposons de solutions permettant de valoriser le local : le low-cost et le low-tech sont associés à une production locale à partir des ressources disponibles et favorisent la consommation de proximité. Si l’on souhaite continuer à avoir des modèles industriels centralisés pour alimenter tout un pays, il sera difficile de le faire avec des solutions low-tech et low-cost. En revanche, si l’on souhaite mettre en place des solutions low-tech et low-cost, c’est que l’on veut promouvoir une consommation locale et de proximité, fondée sur des ressources locales et de proximité également. Enfin, ce recentrage et cette résilience pour des pays en développement peuvent s’appuyer, non sur des solutions capitalistiques, mais sur des financements participatifs et associatifs avec des projets à échelle humaine.
Le message que je souhaitais faire passer avec cette présentation, c’est que tout ce que l’on a pu faire dans le passé en termes de solutions industrielles peut se transposer aujourd’hui à travers des solutions beaucoup plus low-cost et beaucoup moins technologiques, à condition que ces solutions industrielles imposantes déjà mises en œuvre dans les sociétés dites « développée puissent être mises, en version open source, à disposition des sociétés en développement.
Pierre Massis : Modérateur
Merci Mr Auzet ! Ce qui est intéressant dans votre présentation, c’est que finalement c’est un retour à l’humain que vous promouvez. Vous nous dites que la low-tech s’appuie sur les ressources locales, les savoir-faire, la formation et c’est sans doute la réponse au problème de taille et peut-être de perte de repère que vous exposez. Est-ce que, fondamentalement, on a vraiment besoin de mettre en place de grandes installations capitalistiques sous prétexte de la gestion d’un fort volume ? Ne peut-on pas envisager la multiplication des petites installations de proximité en vue d’avoir une production locale et une consommation locale ?
Patrice Auzet :
Exactement, et c’est typiquement ce qui est en train d’être fait sur le solaire. Jusqu’à il y a quelques années, on a beaucoup développé de grandes centrales solaires produisant 2 à 3 mégawatts et qui avaient besoin de 2 à 3 hectares d’implantation. De plus en plus, les gouvernements se questionnent sur la possibilité de multiplier les petites centrales solaires sur une variété de supports multiples pour des installations de semi-collectives à individuelles, afin de favoriser l’autoconsommation et de limiter ces grosses installations qui ont besoin de gros réseaux de distribution et de gros investissements. De plus en plus, on retourne vers l’humain ou en tout cas à l’échelle humaine.
Pierre Massis : Modérateur
Effectivement ! Et si vous vous souvenez de la présentation de Mme Marzougui de l’Institut National de l’Énergie Solaire (INES) qui nous disait qu’en Tunisie il y a de plus en plus d’installations individuelles qui permettent d’éviter d’avoir recours à de grandes installations très gourmandes en investissement, à travers la distribution notamment. On en aura une preuve tout à l’heure dans la session des solutions innovantes. Je pense à Lagazel et à Bamboo for Life notamment qui appliquent beaucoup ce principe. D’ailleurs Mme Lankry a posté un commentaire dans lequel elle dit que l’intérêt de la solution réside dans le fait de décentraliser le traitement des déchets au plus près des intrants et au plus près des besoins.
Pour prendre connaissance de la présentation de Monsieur Auzet, c’est par là