Nous poursuivons la mise en ligne des intervenants du troisième webinaire dédié aux ressources en Méditerranée. La thématique que nous avons décidé d’explorer concerne un sujet très problématique en Méditerranée, celui des déchets.
« Les déchets, une ressource ? » Si l’affirmation n’est pas immédiatement évidente, nous allons voir pourquoi et comment les intervenants de ce troisième webinaire, qui s’est tenu le 3 juin dernier, soutiennent cette position.
Pour mémoire, le webinaire du 3 juin est le troisième d’une série de quatre, destinés à traiter de la rareté de ressources emblématiques de la Méditerranée, mais aussi des solutions, traditionnelles comme innovantes, qui s’appliquent à la recherche, à la conservation et à une gestion optimisée de celles-ci.
Voici la neuvième contribution :
Intervention de Thomas Campana : Service Économie Circulaire et Gestion des Déchets, Office de l’Environnement de la Corse
Bonjour à tous !
Je suis chargé de mission à l’Office de l’Environnement de la Corse qui dépend de la Collectivité de Corse. Cette Collectivité dispose de la compétence pour la planification de la gestion des déchets sur le territoire. Elle a donc confié à l’OEC les travaux d’élaboration du plan territorial de prévention et de gestion des déchets (PTPGD) dont je vais maintenant exposer les modalités. Ce plan est passé en début d’année devant l’Assemblée territoriale, et à l’heure actuelle, il est évalué par la Commission du Conseil départemental. Il reste encore quelques formalités à remplir, puis le plan devrait pouvoir être opérationnel dans 8 mois à 1 an. À l’écran vous pouvez voir (diapo page 1) les missions de l’OEC qui sont « d’impulser, coordonner la politique régionale en matière d’environnement et de développement durable » ainsi que « d’assurer la protection, la gestion, l’animation et la promotion du patrimoine ». Je vous invite à aller sur le site de la structure, vous pourrez y trouver les compétences de cet organisme.
Pour élaborer ce plan nous avons établi plusieurs constats. En premier lieu, sur la partie droite vous pouvez voir (diapo page 2) une sorte d’état des lieux insulaire. Vous pouvez aussi constater la différence entre la Corse et le continent en ce qui concerne la production de déchets par habitant et par an. Cette différence s’explique en partie par les flux touristiques saisonniers. En second lieu, notre territoire ne compte que deux installations de stockage des déchets non-dangereux, qui sont toujours en activité mais qui sont en voie de de saturation. Il en découle la proposition de nouvelles solutions que vous allez découvrir dans la suite de cette présentation. Ces orientations nous invitent à suivre différentes solutions liées entre elles, telles que respecter la réglementation, remettre l’économie circulaire au centre du plan d’action, privilégier la captation à la source des flux valorisables, avoir une approche territorialisée des objectifs et des actions, élaborer une planification opérationnelle avec la responsabilisation de tous les acteurs, enfin, proposer une approche pragmatique.
Comme cela a été évoqué par d’autres intervenants avant moi, on ne pourra avancer que si l’ensemble des acteurs joue le jeu. A commencer par l’Etat dont vous connaissez bien les compétences. Pour leur part, les EPCI sont titulaires de la compétence collecte, tandis que ce sont les communautés de communes qui sont chargées de l’organisation et de l’optimisation du service de prévention et gestion des déchets ainsi que de la mise en œuvre de solutions adaptées et performantes de tri à la source. Nous avons invité les EPCI à appuyer le service de prévention et de gestion des déchets en aidant financièrement les communautés de communes. Est ainsi prévue la production d’une étude permettant d’identifier les manquements et les faiblesses des différentes communautés de communes. Par ailleurs, nous bénéficions du Syvadec, le syndicat mixte en charge de la valorisation des déchets insulaires. D’autres actions sont à leur tour portées par les différentes fédérations et organisations professionnelles qui ont été consultées, actions qui sont destinées à informer et sensibiliser les producteurs et contribuer à la restructuration des filières. De même, les chambres consulaires ou encore les associations ont été mobilisées, dans un cadre d’action constitué au bénéfice des usagers. Voici, en résumé, la compétence de l’OEC : élaborer le plan puis promouvoir et accompagner progressivement sa déclinaison sur l’ensemble du territoire insulaire.
De fait, l’OEC a ainsi fait le choix d’un plan ambitieux afin de mobiliser l’ensemble des acteurs. Pour cela, nous avons construit un partenariat avec l’ADEME qui nous aide à impulser la dynamique sur le territoire du point de vue financier. D’un autre côté, nous savons que l’une des clés de réussite repose sur les liens à créer et/ou à entretenir avec les acteurs, ce que nous conduisons avec vigueur, en favorisant, par exemple, la nécessité de partager les résultats afin de démontrer l’intérêt que peut apporter l’économie circulaire sur l’île. De plus, la loi NOTRe (Nouvelle Organisation Territoriale de la République) a défini de nouvelles modalités qui s’appliquent à la planification des déchets. Elle a modifié considérablement le Code de l’Environnement, transférant aux régions les compétences relatives à la planification des déchets. Rappelons toutefois que la Corse s’inscrit déjà dans un cas particulier parce que les précédentes planifications des déchets dangereux et non dangereux ont été réalisées à l’échelle régionale.
Le plan territorial que nous proposons comprend un état des lieux de la prévention et de la gestion des déchets selon leurs origines, leurs natures, leurs compositions et les modalités de transport. Le plan comprend aussi une prospective à terme 6 à 12 ans sur l’évolution tendancielle de la quantité de déchets à traiter, quand ils sont produits sur le territoire. Il précise les objectifs en matière de prévention, de recyclage, de valorisation des déchets, déclinant ainsi les objectifs nationaux de manière adaptée aux caractéristiques territoriales ainsi que les priorités à retenir pour atteindre ces objectifs. Il doit aussi intégrer une planification de la prévention et de la gestion des déchets à terme 6 à 12 ans, comprenant notamment la mention des installations qu’il apparaît nécessaire de créer ou d’adapter afin d’atteindre l’objectif précédent, dans les limites des capacités annuelles d’élimination des déchets non dangereux, non inertes fixées par le plan. Enfin, ce plan va intégrer le plan d’action en faveur de l’économie circulaire.
Comme je vous l’ai signalé plus tôt, nous n’avons que 2 stations de stockage des déchets non-dangereux, qui sont vouées à disparaître. Actuellement, il y a de nouveaux projets en cours d‘étude, mais qui reçoivent une certaine opposition de la part des populations concernées en raison des faibles performances du tri en période estivale. Beaucoup d’habitants ne veulent pas de l’implantation de sites de stockage sur leur territoire, ce qui est courant quand on envisage de futures implantations de sites. Mais même si le tri augmente régulièrement chaque année, nous avons tout de même besoin d’installations de stockage. Il y a de nombreux paramètres à prendre en compte, ce qui rend l’installation assez délicate. Il faut aussi noter que, sans mise en application de ces plans, les estimations tendent vers un gisement de 1 235 000 tonnes en 2027 et 1 350 000 en 2033 contre 1 000 060 en 2018, soit une évolution de la production globale des déchets de plus de 27% en 12 ans, si le plan n’est pas appliqué.
Au niveau réglementaire, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte a modifié le Code de l’Environnement, précisant des objectifs de prévention et de gestion dont a dû tenir compte le PTPGD, qui a défini le contenu de mise en œuvre du plan national de prévention et gestion des déchets et auquel le PTPGD devra se référer. Ce plan territorial et son plan d’action en faveur de l’économie circulaire devront également se référer à la stratégie nationale de transition, via l’économie circulaire prévue à l’article de loi TECV (Transition Ecologique pour une Croissance Verte). Le PTPGD devra enfin prendre en compte les orientations stratégiques du plan d’aménagement et du développement durable de la Corse (PADDUC) qui est toujours en vigueur et appliqué sur le territoire. Voilà pour l’encadrement réglementaire.
Au niveau de la prévention il faut tenter de réduire de 15% les déchets ménagers et assimilés produits par les habitants, et de 5% les DAE en 2030 par rapport à 2010. En termes de valorisation, le tri à la source des biodéchets deviendra obligatoire d’ici 2024. Il faudra également valoriser sous forme matière organique 65% des déchets non-dangereux et non inertes d’ici 2025 et valoriser sous forme matière 70% des déchets du BTP. Il sera nécessaire d’assurer la valorisation énergétique d’au moins 70% des déchets du BTP ne pouvant faire l’objet d’une valorisation matière d’ici 2025. Il faudra réduire de 50% les déchets non dangereux et non inertes admis en stockage en 2025 par rapport à 2010 et limiter les DMA (Déchets ménagers assimilés) admis en ISD (Installation de Stockage de Déchets non-dangereux) à 10% des DMA produits en masse en 2035.
Ce plan participe à une gestion intégrée et globalisée de la totalité de la production des déchets de l’ensemble du territoire corse comprenant les DMA, les déchets d’activités des entreprises et ceux du BTP. Rappelons qu’ils sont classés, pour chaque secteur, en trois catégories : les déchets non-dangereux, les déchets inertes, et les déchets dangereux. Chaque fois que possible, des solutions de mutualisation de traitement, par exemple le traitement en commun des déchets provenant des secteurs public et privé, devront être mises en place sur le territoire en privilégiant une maîtrise d’ouvrage publique. Nous souhaitons vraiment que la maîtrise d’ouvrage reste publique, afin de pouvoir maîtriser le cycle de vie du déchet du début à la fin et de pouvoir contrôler l’aspect économique, qui reste assez problématique en Corse, notamment du fait des actions de lobbying sur les déchets. C’est pour cette raison qu’il est nécessaire de tenter de se réapproprier la maîtrise d’ouvrage de la valorisation du traitement des déchets au niveau public. La Collectivité de Corse réaffirme sa volonté de mettre en place un service public de gestion des déchets permettant de maîtriser les coûts pour les usagers et de respecter les critères sociaux et environnementaux de référence. Dans le cas où des partenariats public/privé seraient mis en œuvre, les projets privés seraient réalisés dans le cadre réglementaire bien sûr, mais aussi dans le respect des préconisations du plan. C’est à dire que nous soutiendrons les porteurs de projet qui rentrent dans le champ de compétence du plan, mais le but reste vraiment de maîtriser le traitement des déchets de A à Z.
Les différents scénarios que nous avons inscrits dans le plan sont en fait des combinaisons de solutions techniques :
- la première serait le tout en stockage, ce qui est plus ou moins en application actuellement, même s’il y a une infime part qui est triée puis exportée sur le continent, puisqu’il n’y a pas, à l’heure actuelle, de filière de valorisation sur le territoire corse. Nous essayons d’ailleurs de pallier cela en lançant une dynamique pour que les acteurs intègrent qu’il faut essayer de valoriser au mieux les déchets sur notre territoire et éviter de les exporter. Cette solution n’apparaît cependant pas comme une combinaison pertinente car elle ne répond pas aux enjeux réglementaires ;
- la deuxième serait le tout export, qui n’est pas plus pertinente en raison de la forte dépendance potentielle des installations en dehors du territoire ;
- la troisième serait d’aller vers une unité de méthanisation industrielle. Cela apparaît comme une solution plutôt pertinente dans les conditions fixées par les autres documents de planification en vigueur ;
- la quatrième serait une UVE, c’est-à-dire une Unité de Valorisation Energétique. Cette proposition apparaît comme pertinente mais il est nécessaire de mener une analyse approfondie au niveau économique, au niveau du volume du gisement disponible sur le territoire, et au niveau de la saisonnalité du gisement. Donc il faut en fait garantir les débouchés et lever les contraintes identifiées.
- la cinquième consisterait à créer deux centres de surtri. Une nouvelle fois, il s’agit d’une combinaison en apparence pertinente mais qui nécessite une analyse approfondie pour pérenniser les débouchés des produits triés. Ces deux centres de surtri se situeraient sur les deux grands centres de population de l’île, au niveau de la communauté d’agglomération du Grand Bastia, qui représente à peu près 80 000 habitants, et au niveau de la CAPA, la Communauté d’Agglomération du Pays Ajaccien, avec 100 000 personnes. Au total cela permettrait de toucher un peu plus de la moitié de la population de l’île, qui compte 350 000 habitants.
Ce sont les trois derniers scénarios qui paraissent réellement pertinents. Cependant, leur pertinence est relative. Par exemple, pour ce qui est de l’unité de valorisation énergétique, l’étude a révélé de nombreux problèmes parmi lesquels, dès lors que sont respectés les objectifs de tri imposés par la loi et repris dans le plan, le procédé devient extrêmement coûteux. Cela représente plus de 80 M€ d’investissement et 18 M€ de frais de fonctionnement, ce qui est difficilement supportable pour les contribuables insulaires. Ensuite, l’installation sur un seul site s’impose au regard des tonnages de déchets à traiter, entre 109 000 tonnes et 147 000 tonnes, selon le scénario retenu, et il serait indispensable de mettre en place des solutions de rupture de charge et de plate-forme de massification pour limiter les impacts du transport, ce qui augmentera les coûts de cette construction, et majorera le temps, inconvénient sensé être supprimé. Il faut ajouter à cela que l’installation sur un seul site imposerait à l’évidence des problèmes d’acceptabilité par les populations. Il y a aussi un problème non-résolu de gestion des déchets secondaires comme les REFIOMs (résidus d’épuration des fumées d’incinération des ordures ménagères) et les mâchefers notamment. Cela signifie que les installations destinées à traiter ces déchets secondaires ne peuvent être envisagées en Corse à un coût économique supportable, c’est à dire que l’on reviendrait à l’export structurel vers les continents. Enfin, il convient aussi de rappeler que, même avec un incinérateur, les besoins de stockage ne disparaîtront pas totalement et qu’il faudra donc bien un centre de stockage. Au-delà des coûts de transport maritime des déchets dangereux à prendre en compte et qui s’ajoutent au coût de traitement, l’absence de maîtrise des filières et la dépendance à des installations hors du territoire insulaire, apportent un risque sur la pérennité de l’organisation de la gestion des déchets par ce type de traitement. La CdC réaffirme donc son choix de ne pas retenir cette méthode de traitement, tout comme elle propose de ne pas retenir d’autres scénarios en stockage comme le « tout en stockage ».
Deux combinaisons restent donc possibles, une filière basée sur la méthanisation et la valorisation des CSCR afin de permettre de gérer les flux non valorisables de matière associée à une filière basée sur les centres de surtri au fonctionnement modulable pour la collecte des OMRs (ordures ménagères résiduelles).
Le temps m’étant compté, je vous laisse regarder par vous-même, les différentes orientations proposées (diapo page 11).
De même ici, concernant l’économie circulaire qui constitue vraiment le socle commun des actions du PTPGD : (diapo page 12).
Nous arrivons maintenant à la conclusion avec les actions déjà mises en place. En 2018, nous avons engagé 2,2 M€ sur les aspects déchets, sur l’aide aux entreprises, l’aide aux collectivités pour mettre en place l’ancien plan et en 2019, nous avons engagé 2,6 M€. Nous accompagnons techniquement et financièrement les collectivités compétentes dans la déclinaison de planification régionale. Nous mettons en place une stratégie territoriale de développement de l’économie circulaire et la formalisation d’une feuille de route a été créée au sein de l’Office de l’environnement. La formalisation et la constitution d’outils tels que des guides de bonnes pratiques sont disponibles sur le site de l’OEC pour ceux qui souhaitent en bénéficier. Sur la base des appels à projets ADEME pour l’accompagnement de projets novateurs, nous avons reçu140 candidatures depuis 2018.
Toutes n’ont reçu un avis favorable, mais il y a des projets très intéressants sur le territoire, comme une recyclerie qui propose de créer une filière de valorisation du déchet plastique par l’intermédiaire de Precious Plastic. Il y a aussi une filière de récupération du verre pour le nettoyer et le remettre dans le circuit. Ensuite, nous souhaitons également créer un AMI, un Appel à manifestation d’intérêt entre l’Office et l’Agence de la Collectivité de Corse. Cet Office peut être soit l’Office agricole, l’ADEC qui est l’Agence économique, ou même l’AUE (Agence de l’Urbanisme et de l’Energie) pour essayer de développer quelque chose en commun, impulser une dynamique sur le territoire au niveau de l’économie circulaire et permettre d’entamer une action sur les déchets. Aussi, je tiens à signaler que la CdC (Collectivité de Corse) a proposé de s’engager sur le principe de répartition territorialisée de la recharge de stockage des déchets résiduels.
Sachez enfin qu’il y a un partenariat qui a été entrepris avec la Sardaigne afin notamment de s’inspirer de leur expérience pour renforcer la montée en puissance du tri généralisé à la source en Corse, puisque la Sardaigne est déjà à la pointe sur ce sujet.
Pour prendre connaissance de la présentation PPT de T. Campana, c’est par la