Nous abordons aujourd’hui la première présentation de la troisième et dernière session du webinaire. Cette partie vise à discuter et présenter les solutions innovantes qui se sont fait jour et valoriser les savoir-faire des partenaires des deux rives de la Méditerranée. L’approche transversale de Bruno Bessis introduit cette partie.
Pour mémoire, le webinaire du 8 avril est le premier d’une série de trois, destinés à traiter de la rareté de ressources emblématiques de la Méditerranée, mais aussi des solutions, traditionnelles comme innovantes, qui s’appliquent à la recherche, à la conservation et à une gestion optimisée de celles-ci. Les trois ressources que l’AVITEM a décidé d’examiner sont l’eau, l’énergie et les déchets.
Intervention de Bruno Bessis : Ministère de la Transition écologique, Ministère de la Cohésion des Territoires, France Ville Durable
Bonjour à tous et à toutes, merci à l’AVITEM pour cette invitation. Je suis Conseiller ville durable et international au Ministère de la Transition écologique et au Ministère de la Cohésion des Territoires et des Relations avec les collectivités territoriales et donc évidemment je suis ravi d’échanger avec les collectivités territoriales. Vous le voyez je représente deux Ministères et je suis également porte-parole de l’association France Ville Durable, une association qui associe et fait collaborer acteurs publics et privés de la ville durable. En tant que représentant et « messager » de ces deux ministères ainsi qu’en tant que porte-parole de France Ville Durable, il y a une question que je dois poser. Pourquoi faire de l’innovation ? Cette question en introduit de nombreuses autres.
Faut-il engager des politiques publiques en faveur de l’innovation ? Quelles sont les finalités d’une innovation ? Est ce qu’il faut financer ou co-financer une innovation ? Répondre à ces questions demande du recul, de la hauteur et c’est d’ailleurs mon rôle avec cette étiquette ministérielle. En prenant ce recul je ne peux qu’arriver au sujet de la ville et des territoires durables, car le gouvernement français n’est pas le seul, de nombreux gouvernements aujourd’hui sont engagés fortement sur la promotion de la ville et des territoires durables. Cela fait maintenant une dizaine d’années que les gouvernements français qui se sont succédé se sont fortement engagés sur le sujet et nous avons aujourd’hui atteint un stade où le gouvernement formalise ce sujet et essaye de définir ce qui fait une ville et un territoire durables en s’appuyant sur 4 défis.
- Le 1er défi c’est de considérer que les villes et les territoires sont durables lorsqu’ils sont résilients, c’est à dire lorsqu’ils sont en mesure de faire face et de rebondir face aux crises qu’elles soient de nature sanitaire, climatique, sociale, etc.
- Le 2ème défi est la sobriété car pour être durable les villes et territoires doivent être sobres. Il s’agit en fait de préserver nos ressources naturelles, nos matériaux, nos terres naturelles. Car à l’heure actuelle, chaque année le tristement célèbre « Jour du dépassement », le jour à partir duquel l’humanité est supposée avoir consommé l’ensemble des ressources que la planète est capable de régénérer en un an, a lieu de plus en plus tôt.
- Le 3ème défi pour des villes et des territoires durables est centré sur l’inclusivité des solutions. Il faut avoir des villes et des territoires durables inclusifs, car cela signifie ne pas exclure une population ou une catégorie sociale mais bien intégrer l’ensemble des populations, des cultures, des histoires dans une dynamique commune.
- Le 4ème défi c’est une ville productive ou une ville créative, ce défi concerne donc essentiellement la défense de l’emploi, des filières, de la culture, de l’histoire, et du patrimoine.
Ces 4 défis sont à relever concomitamment car on ne peut pas faire de ville résiliente sans s’intéresser à la sobriété par exemple ; et c’est en partant de ces 4 défis qu’il convient de se demander comment on en arrive au besoin d’innover.
Quelle est la place de l’innovation pour ces villes et ces territoires durables ? La réponse à cette question commence une nouvelle fois par un constat. Et ce constat est très négatif voire alarmant avec le changement climatique dont on parlait en début de matinée et les crises qui se succèdent, qu’elles soient sanitaires, sociales ou climatiques. Hier j’entendais aux informations que la Région Sud-Provence était déjà en état de sécheresse à la mi-avril, ce qui est évidemment catastrophique. Pour continuer à illustrer notre propos, j’habite en région parisienne, et avant l’hiver, une information un peu inhabituelle précisait que nous risquions d’avoir une pénurie d’électricité, qui pouvait induire des coupures de courant. En bons Parisiens, des coupures de courant nous semblaient impossibles dans notre ville. Mais finalement, il y a bien eu des coupures de courant en raison du pic de froid notamment. Pour revenir au constat du changement climatique et aux implications qu’il induit, le GIEC nous répète qu’il faudrait réduire nos émissions de gaz à effet de serre alors que nous arrivons à peine à les maintenir sans les augmenter….
- Est-ce que cela signifie que tout ce qu’on a entrepris ne sert à rien ou encore qu’on n’ait pas pris les bonnes mesures ? En réalité, ce n’est pas le cas étant donné qu’on arrive à maintenir le niveau d’émissions alors même que la consommation continue à augmenter. Cela signifie bien que les mesures prises ont un effet certain, mais non encore suffisant, puisque maintenir le niveau d’émissions ne suffit pas, et qu’il est maintenant indispensable de réellement s’engager pour fortement le réduire.
- Est-ce que c’est la fin du monde -le collapsus- annoncée pour dans 30 ans ? Peut-être sans doute pas encore pour tout le monde, mais ce sera bien la fin d’un monde pour certains. En effet, les experts prédisent que dans 30 ans à venir, 20% de la population mondiale subira pendant 20 jours dans l’année des conditions de vie létales. C’est-à-dire des températures excessives, des inondations, des sécheresses, etc… Les populations qui seront touchées par ces crises vont devoir se déplacer, migrer. Évidemment, cela est à l’origine de graves crises pour les populations qui vont devoir émigrer, mais c’est aussi une situation critique pour les territoires qui vont recevoir ces flux migratoires. Rappelons juste qu’aujourd’hui, les villes ne sont pas du tout organisées pour accueillir ces populations.
Alors que faire ? Déjà, il faut aller au-delà des savoir-faire traditionnels. Entendons-nous bien, je ne parle pas de savoir-faire traditionnel historique, les anciens faisaient du bio-climatique avant même de le savoir. Je désigne plutôt les modes de fonctionnement usuels et industriels, ces « modes de faire » qui sont malheureusement devenus les savoir-faire « traditionnels » de nos entreprises, de nos collectivités… Le problème, c’est qu’aujourd’hui, on constate, lorsqu’on travaille sur un projet d’aménagement, que ce sont ces modes de faire usuels -qui ne font qu’aggraver la situation- qui restent prédominants, et qu’il est urgent de dépasser ces façons de faire. Pour cela, nous devons concevoir et adopter de nouveaux outils, de nouvelles méthodes, de nouvelles organisations et de nouvelles technologies.
Et c’est à partir de là que l’on peut commencer à parler d’innovation. Il ne s’agit pas uniquement d’innovation technologique, mais d’innovation sous toutes ses formes, par les outils, par la méthode, ou comme Mme Bouali et Pierre le signalaient, en termes de gouvernance. On peut ainsi innover en matière de gouvernance, en mettant en œuvre chez soi ce qui est déjà fait à l’autre bout du monde. Pour rester concis, il y a de nombreux chemins qui permettent d’innover.
Nous avons dit que les 4 défis cités précédemment ne seront pas relevés sans faire appel à l’innovation. Toutefois ce qui est crucial, c’est la nature spécifique de ces innovations, qui doivent répondre aux besoins réels des territoires. L’objectif n’est pas de créer un besoin mais bien de promouvoir des innovations adaptées, aptes à répondre à ces besoins. Citons par exemple la question de la 5G. Ce sujet est aujourd’hui à l’origine d’un débat important en France et la question qui peut se poser porte sur le fait d’aboutir finalement à créer de nouveaux besoins avec les nouvelles technologies. Ce n’est pas le sujet du jour, mais cela soulève un point essentiel, quand on soutient des innovations, c’est la prise de recul sur ce qui est soutenu et sur son utilité.
Quels sont les freins qui limitent le déploiement des innovations ? France Ville Durable a réalisé un travail sur ce sujet et les conclusions de cette étude nous apportent de précieuses informations, notamment en ce qui concerne les limites, les freins qui, au final, ne permettent pas l’accès aux innovations :
- un premier frein identifié porte sur les habitudes, car le changement n’est pas souvent le bienvenu. Un peu plus tôt, j’évoquais les « modes de faire usuels», c’est-à-dire mener par exemple une réflexion avec les grandes entreprises du secteur du bâtiment sur les méthodes alternatives, en utilisant peu ou pas de béton, gérer cette nouvelle complexité. Je prends l’exemple des entreprises, mais je pourrais aussi bien citer les collectivités territoriales et bien sûr l’Etat. Expliquer à l’Etat qu’il faut travailler autrement ce n’est pas simple ;
- le second frein concerne les procédures à faire évoluer, notamment du point de vue législatif et réglementaire. Certaines d’entre elles ne facilitent ni la mise en place ni la circulation de l’innovation. Car ces textes réclament parfois des avis techniques qui peuvent être longs et très coûteux, ce qui est là aussi dommageable et améliorable ;
- un troisième frein concerne l’aspect financier. Il faut prendre en compte le surcoût initial de certaines innovations lié au développement et à la recherche et faire accepter que les innovations ne sont pas systématiquement plus coûteuses en termes bilantiel ;
- le 4ème frein renvoie à la connaissance et la capacité. Pour innover il faut déjà avoir connaissance de ces innovations, donc il faut des moyens pour les diffuser. Enfin, il faut trouver la capacité pour les mettre en œuvre ;
- le 5ème et dernier frein concerne la différence d’échelle de temps entre les acteurs. Pour une start-up qui lance une innovation, la réponse portant sur son financement, donc ses marchés, est attendue à très court terme. L’agenda de la collectivité qui fait de l’aménagement n’est pas du tout calqué sur cette échelle de temps, et peut durer parfois 4, 5, 6, ou même 7 ans. Ce décalage n’est pas envisageable pour une start-up.
Sans rentrer dans les détails, le Mnistère et France Ville Durable mettent en œuvre des actions pour essayer de lever ces freins, que je peux bien volontiers partager.
Comment favoriser et accompagner le déploiement des innovations ? Il faut former, il faut convaincre afin de répondre à ces collectivités qui sont à la recherche de capacités et de connaissances. Il faut aussi changer notre vision et nos modes de consommation. Les modes de consommations concernent, nous l’avons évoqué plus tôt, l’utilisation et la gestion de l’eau. En ce qui concerne le fait de changer notre vision, cela peut passer par la modification du vocabulaire, je parlais tout à l’heure de ville sobre mais l’appellation la plus adaptée serait « ville frugale ». L’origine étymologique de la frugalité vient du mot fruit, qui suggère l’action de consommer les fruits qui sont offerts par l’arbre sans exercer de pression sur son développement. Une ville frugale suppose une consommation raisonnée en fonction de ce qui est à disposition du territoire. Le décalage de plus en plus précoce du « Jour du dépassement » ne fait que témoigner de la distance qui nous sépare encore d’un modèle et d’une vision centrés sur la frugalité.
Favoriser et accompagner le déploiement des innovations, c’est aussi les soutenir, notamment financièrement : il appartient à l’État de mettre en place des aides financières. Il faut aussi faciliter l’accès à des marchés adaptés en vue de laisser la possibilité aux start-ups d’innover et de diffuser leurs innovations. Or nous savons par l’expérience que ce n’est pas simple puisque les marchés publics sont régulièrement remportés par des grands groupes, très peu de ces marchés étant adaptés aux offres des start-ups. Il faut donc encourager les acteurs locaux, fixer des exigences plus ambitieuses dans les marchés pour pousser les professionnels à progresser et ainsi faire plus de place aux start-ups. Il convient également de faire connaître les innovations les plus performantes en rendant l’information plus fluide. Nous sommes donc engagés sur des projets de plateforme, sur des portails, afin de donner aux start-ups l’occasion de faire connaître leurs innovations, et en corallaire, de faciliter la prise de connaissance de ces innovations par les collectivités en structurant la qualité des échanges entre ces typologies d’acteurs.
La clé de la réussite consiste en une action conjuguée de tous les acteurs. En guise de conclusion, je souhaite m’appuyer sur deux propos que je retiens des échanges précédents de cette matinée :
- celui de Mr Bzioui qui a bien précisé qu’il était urgent d’« investir dans l’homme car l’innovation doit servir l’homme» ;
- celui de Mme Bouali qui a rappelé que « les réponses du passé sont les solutions de demain».
Nous en sommes collectivement convaincus et c’est pourquoi nous continuons à y travailler au Ministère.
Pierre Massis : Modérateur
J’aime beaucoup la relation qui se construit entre ville sobre et ville durable. Cette problématique montre bien que si tous les acteurs ne s’impliquent pas, les risques vont se multiplier. Une des solutions serait donc de se diriger vers une ville frugale, la “frugalité” n’étant pas forcément un synonyme de dénuement mais bien de richesse, notamment quand elle est associée à la corne d’abondance… Nous partageons ce constat qu’aujourd’hui la problématique de l’environnement est devenue un objectif transversal (au sens des ODD), avec des acteurs locaux ou régionaux qui travaillent en délivrant de l’ingéniosité, de l’inventivité, de la créativité et puis des opérateurs, plus classiques, qui font montre de certains retards dans la mise à jour de leurs protocoles et de leurs process, de leur capacité à repérer les innovations, à les interpréter et à leur donner vie. Ce qui est fondamental et novateur dans le projet porté par la cité du Ksar Tafilelt, c’est qu’il y a une véritable volonté de mixer les savoirs ancestraux, traditionnels et cette relation à l’innovation. Cette volonté on l’a aussi vue dans les présentations de la ville de Marseille et de la ville d’Alger, où on constate cette recherche d’un mix entre bonne pratiques ancestrales et innovation.
Pour avoir accès à la présentation de M. Bruno Bessis, c’est par ici