Nous poursuivons la présentation des interventions données par nos orateurs lors du webinaire du 6 novembre dernier.
Aujourd’hui, nous présentons la deuxième intervention, celle de Marie Baduel, Directrice de la stratégie à l’AVITEM, dans la deuxième session : sécurisation des flux : relocalisations et espaces portuaires (2/5)
Idée 1 : Les ports participent au processus de relocalisation en premier lieu à travers leurs opérations d’aménagement. Jusqu’à aujourd’hui, ils ont été les plus grands aménageurs des métropoles car ils ont converti les ports en centre-ville en projets urbains, ont créé des imaginaires urbains avec des opérations touristiques, culturelles, de loisir, en mobilisant les plus grands architectes internationaux.
Ces opérations participaient du modèle économique et portuaire mais aussi du renouveau urbain. Aujourd’hui, l’offre de relocalisation industrielle et logistique permet de s’engager sur une autre voie de réaménagement. Elle se met en mesure de refonder un autre imaginaire, loin des marinas et des skylines produites par les architectes mondiaux. Elle se structure autour de l’aménagement post-industriel des villes, avec ce renouveau de l’industrie des villes ou d’autres secteurs productifs. Cette nouvelle phase d’aménagement, qui renvoie à la capacité de redonner une dimension productive à la ville, pose à nouveau la question de la disponibilité foncière. Ce qui signifie un foncier libre, aménagé, un foncier « purgé » dont on peut imaginer qu’il ne fera pas l’objet de procédures contentieuses lourdes, et également un foncier acceptable en termes de prix. L’aménagement de ces espaces prendra plusieurs formes :
- Il pourra se faire à l’intérieur des ports : par exemple, le port de Marseille a 10 000 hectares de foncier mobilisables sur la zone industrielle de Fos, ce qui est gigantesque : c’est l’essentiel du foncier disponible dans la métropole Aix-Marseille-Provence. Toutefois, d’autres ports ont un foncier disponible ou mutable, notamment le port de Tunis ;
- Cet aménagement peut aussi se faire à l’extérieur sous la forme de zones industrielles, c’est le cas du port Tanger-Med qui est associé à un archipel de zones industrielles, ce qui a un effet attracteur majeur pour l’implantation des industries ;
- Cela peut se faire aussi dans un réaménagement de voisinage. Comme dans le 3ème arrondissement de Marseille qui était un faubourg industriel, depuis longtemps lié au port, et qui, aujourd’hui, pose un enjeu majeur de réhabilitation, de restructuration, mais sur un modèle mixte, urbain, artisanal, de petite industrie, d’activités productives (les makers). Un patrimoine mobilisable, à requalifier, une offre urbaine contemporaine intégrant même la question du télétravail ;
- La production d’un foncier pour l’implantation d’entreprises à risques. Les ports accueillent souvent des activités à risques et on en a eu un exemple à Beyrouth le 4 aout dernier. C’est une réalité. Face à cela, il y a deux alternatives : soit une gestion opaque et banalisée de ces produits à risques, soit la transparence avec des implantations Seveso qui sont des zones réglementées, gérées, surveillées, gouvernées, et qui peuvent constituer un avantage comparatif.
Si la disponibilité foncière est un a-priori, les ports participeront au processus de relocalisation si ils affrontent la complexité de l’aménagement à partir de gouvernances multi-acteurs ; le port, les collectivités, les promoteurs immobiliers, et jusqu’au citoyen. La notion d’acceptabilité a été à plusieurs reprises mentionnée, mais elle n’est pas du tout gagnée en fait.
Idée 2 : L’impact des ports dans les processus de relocalisation de l’économie est lié à la diversification des activités portuaires : comment les ports passent de cet opérateur de flux à un développeur industriel et logistique, jusqu’à un opérateur de services et de connaissances ? La diversification des activités portuaires pourrait redonner à la Méditerranée sa légitimité sur un espace de relocalisation de proximité. Dans cette perspective l’enjeu des Ports est de développer une capacité d’être connecteur de knowledge. Là encore, les ports se sont fortement engagés dans ces opérations de diversification, à travers trois démarches :
- D’abord dans le domaine logistique. Les ports sont devenus des acteurs structurants dans la conception de systèmes territoriaux multimodaux de logistique, au croisement des flux internationaux, des flux régionaux et jusqu’aux derniers kilomètres. C’est un enjeu de diffusion des marchandises à l’échelle d’hinterland de plus en plus vastes bien-sûr, mais aussi un enjeu de transition écologique avec le développement de systèmes logistiques potentiellement moins émetteurs de gaz à effet de serre ;
- Les démarches en matière d’innovation de type smart port qui ont permis d’engager des éco-systèmes d’acteurs entre universitaires, institutionnels et ports, comme à Marseille. Les résultats sont probants , permettant une meilleure définition des besoins d’innovation, une accélération de ces innovations, une accélération des expérimentations puis de leur diffusion et de leur industrialisation. Cette démarche inclue des nouveaux champs et des nouvelles activités, comme le e-commerce, lequel a été fortement accéléré par la Covid ;
- Le port peut et doit être un fournisseur de services pour les entreprises, ce qui, in fine, permet à celles-ci de réduire encore leurs coûts. Là encore, il y a une mutation qui est en cours et qui doit être accélérée. Toutes les mutations d’économie circulaire qui diminuent fortement la facture énergétique, toutes les mutations sur les branchements électriques, les réseaux des bateaux, à l’instar de ce qui a été édifié au port de Gênes, est assez exemplaire. De même, les ports peuvent être très actifs sur l’ensemble des services liés à la formation des salariés, ce qui met en relief l’importance des ressources humaines et des plateformes d’innovation industrielle.
Idée 3 : La nécessaire coordination/coopération territoriale à l’échelle méditerranéenne, en lien notamment avec le réseau des métropoles portuaires. En synthèse, trois orientations pour confirmer la place de la Méditerranée dans le réseau mondial des ports, lui donnant peut-être l’occasion de bénéficier de cette nouvelle dynamique post-Covid :
- D’abord, renforcer l’axe Europe/Afrique du Nord/Afrique subsaharienne. C’est un axe qui est fragilisé face à la concurrence Pacifique, face à la puissance des économies asiatiques. Cet axe doit être consolidé à partir de stratégies de projets communs, de projets concrets destinés à conforter l’ensemble du réseau portuaire plutôt que d’exacerber la concurrence intra-régionale ;
- La seconde orientation vise à approfondir la relation ville-territoire/port. Il faut renforcer l’impact des opérations de transformation portuaire au profit d’une attractivité territoriale mais également d’un développement local. Le port-loisir attire une clientèle touristique croissante, source d’une économie locale (cas du port de Gènes ou Marseille). Il contribue à une nouvelle économie verte et bleue et à la montée en compétence d’un bassin d’emploi souvent organisé à des échelles territoriales régionales ou métropolitaines (périmètre du port de plaisance et du port en eaux profondes). Il peut anticiper une innovation globale, notamment dans les usages urbains. Enfin, il participe à une innovation organisationnelle essentielle aux territoires contemporains en étant souvent à l’origine de la construction d’écosystèmes d’acteurs, collectivités territoriales, acteurs de la recherche, de l’entreprenariat et les citoyens.
- La capacité, dans cette coordination, d’accélérer la mutation vers une économie éco-responsable. Les ports auront à prendre la mesure de leur responsabilité sociétale et environnementale car les citoyens exerceront de fortes pressions. Il s’agit bien-sûr de mieux communiquer etc. Il s’agit peut-être aussi de participer à la transition écologique du pourtour méditerranéen par une efficacité énergétique, une mutation vers des énergies nouvelles, vers une économie circulaire, vers des systèmes logistiques plus durables. Et pour tout cela, transparence et action sont attendues. Là encore la coordination méditerranéenne est nécessaire pour que la mise à niveau des équipements se fasse de concert.
Pas de projets sans gouvernance, ces différentes évolutions supposent des lieux de coordination stratégiques, des espaces d’échanges, des espaces de prospectives, des espaces de projet. L’AIVP a montré sa pertinence, l’association MedPorts a aussi un rôle important dans ce sens. Surement la question méditerranéenne devra se travailler à cette échelle et pas seulement dans le lien entre les ports mais dans une perspective qui doit pouvoir rassembler les ports avec les autorités locales, les collectivités locales, les acteurs territoriaux et la Commission européenne qui a surement un rôle à jouer dans la structuration méditerranéenne des activités maritimes.
Pour avoir accès à l’intégralité de la présentation PPT de Marie Baduel, c’est par ici