Article de « Envies de ville » by Nexcity
La possibilité d’un dépassement de +1,5°C des températures d’ici 2035 est désormais prise en compte aussi bien par le gouvernement, que par les élus et les acteurs de l’aménagement et de la construction. Les impacts s’annonçant toujours plus complexes et difficiles à gérer, le GIEC* indique des pistes pour à la fois réduire les émissions de gaz à effet de serre mais aussi s’adapter aux effets dès maintenant.
Depuis plus de 30 ans, ses rapports dessinent un avenir de plus en plus précis. S’il ne prétend pas endosser le rôle d’un aménageur, le GIEC a souhaité consacrer le deuxième volet de son dernier opus aux villes et aux infrastructures. Ses experts le martèlent : les effets du réchauffement vont augmenter de manière continue d’ici 2100. Dans ces conditions, comment adapter la construction au climat ?
Alors que 60% de la population mondiale devrait vivre en ville d’ici 2030, les îlots de chaleur urbains s’invitent au premier plan des discussions. Les températures atteintes ayant des effets directs sur la santé, le législateur, le maire et l’aménageur doivent se poser des questions simples, à commencer par la localisation et l’orientation des bâtiments. La construction sur des terres déjà artificialisées et le rapprochement du lieu de travail et du lieu d’habitation s’imposent comme une nécessité. En complément, le GIEC identifie des solutions techniques dont l’efficacité repose sur leur bonne combinaison : la ventilation naturelle, les structures d’ombrage, les revêtements blancs en toiture et les murs végétalisés sont mis en avant.
Des guides pratiques pour adapter la construction au climat
Pour les experts du GIEC, le confort thermique à l’intérieur du logement n’est pas tout. Le secteur du bâtiment, qui représente environ 38% des émissions de gaz à effet de serre, a un rôle à jouer dans une trajectoire vers la neutralité carbone. Encore faut-il que les techniques innovantes passent le cap des normes et de la standardisation. Un faux problème ? Comme le souligne Isabel Diaz, Secrétaire permanente adjointe du Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA) au ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, chaque pays ou zone économique a la possibilité d’adapter sa réglementation à l’urgence climatique.
Les recommandations du GIEC trouvent leur traduction dans les politiques et les réglementations nationales relatives à la lutte contre l’artificialisation des sols ou la rénovation énergétique des bâtiments. La feuille de route de la décarbonation de l’aménagement met en lumière les émissions de gaz à effet de serre liées à l’acte d’aménager. Les usages induits (mobilité, production d’énergie, usages des sols) entrant en considération, le document recense des leviers clairs et pratiques.
« 90% de la ville de demain est déjà là ! », rappelle Isabel Diaz, Secrétaire permanente adjointe du PUCA (Plan Urbanisme Construction Architecture), structure qui pilote des programmes d’expérimentation et de prospective centrés sur la construction neuve. C’est ici que l’adaptation est la plus difficile. Si l’application de matériaux clairs et le renouvellement des isolants présentent peu de difficultés techniques, l’adaptation d’une ventilation naturelle est déjà plus ardue. « Une simple mise aux normes ne suffit pas. La réduction des îlots de chaleur dans les secteurs déjà construits concerne à la fois à l’espace public et la sphère privée. C’est pourquoi elle mobilise des experts diversifiés », prévient-elle.
On l’aura compris, construction et réhabilitation sont indissociables. Dans les deux cas, les matériaux naturels comme le bois, la chaux, la paille et la terre ont beaucoup à apporter. « Des systèmes d’isolation à base de paille ou de chanvre s’adaptent désormais aux normes en vigueur. Le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) délivre son agrément à de nombreux produits plus ou moins prêts à l’emploi », indique Isabel Diaz. Cette redécouverte des matériaux traditionnels est valable en Europe comme dans la plupart des régions du monde où le calcaire et les cultures céréalières sont présents.
Et le risque inondation dans tout ça ? Ici encore, l’État encourage les initiatives. « Face au recul du trait de côte et au risque inondation, chacun comprend qu’il est inutile de construire des citadelles ». On doit désormais aménager « avec le risque » et « laisser de la place à l’eau ». Le Référentiel national de vulnérabilité aux inondations indique la marche à suivre pour mesurer le risque, mobiliser les différents acteurs et construire un plan d’actions. Les moyens sont là : destiné aux projets de construction individuelle comme aux secteurs déjà aménagés, le Fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM) – dit fonds Barnier – permet le financement de drainages, la rehausse des planchers, la mise en sécurité des installations électriques…
Et les projets sont déjà bien visibles : le pôle environnemental communautaire d’Auxerre par exemple est posé sur des pilotis qui l’isolent des crues de l’Yonne sans troubler le mouvement naturel de l’eau. À Saint-Pierre-des-Corps, près de Tours, 20 logements sociaux surélevés facilitent le retour à la normale en cas de submersion. Ces deux projets ont remporté le Grand prix de l’Aménagement en terrains inondables constructibles dès 2016. À Mayotte, le programme TOTEM – un toit pour tous – encourage la construction de logements à bas coût à partir de matériaux bio-sourcés. Le bambou y apporte sa solidité et sa souplesse pour faire face aux aléas climatiques. Preuve qu’il est possible d’aller très loin en matière de procédés constructifs.
Les lanceurs d’alerte ont été entendus
Pour Isabel Diaz, les lanceurs d’alerte du GIEC ont été mieux entendus qu’on l’imagine. Un véritable savoir-faire bio-climatique, applicable dans de nombreuses parties du monde, confirme sa percée. Il reste sans doute à inventer une institution internationale pour faire connaître et fédérer les nombreuses solutions émergentes, « une sorte de GIEC par le bas, animé par les grands groupes, PME et entreprises artisanales ».