Nous poursuivons la mise en ligne des interventions des orateurs du dernier webinaire, consacré au low tech en Méditerranée.
Pour mémoire, le webinaire du 1er juillet est le dernier d’une série de quatre, destinés à traiter de la rareté de ressources de Méditerranée, mais aussi des solutions, traditionnelles comme innovantes, qui s’appliquent à la recherche, à la conservation et à une gestion optimisée de celles-ci.
Voici la troisième intervention de la seconde session, celle des représentants des territoires méditerranéens :
Intervention de Pierre Dury : Ingénieur solaire thermique, Plateforme Formation & Évaluation, Institut National de l’Énergie Solaire
Bonjour à tous, je suis très honoré de faire partie de ce panel d’intervenants très riche. Je vais vous faire la présentation d’un projet que l’on mène en partenariat avec plusieurs partenaires marocains et français et qui vise à développer une économie rurale, une économie locale, en donnant un rôle central aux femmes dans le développement de coopérative liée à l’énergie solaire au Maroc. Le projet se nomme FAREDEIC, pour « Femmes Arganières et Rurales Engagées pour le Développement Économique Inclusif et le Climat ». Le projet FARADEIC se situe au Maroc, où l’on agit sur deux localités, une au nord et une au sud, dans la région du Souss Massa qui est la région de l’Arganeraie.
Le porteur de projet est WECF (Women Engaged for Common Future) et les financeurs de ce projet sont l’AFD, l’ADEME, et la Fondation de France. L’INES intervient dans ce projet en partenariat avec plusieurs acteurs issus de secteurs divers, des ONG, des associations, et des coopératives marocaines. Le projet FAREDEIC a pour objectif global de structurer une filière d’énergie solaire locale au Maroc destinée aux femmes sous la forme de coopérative. Les étapes pour structurer cette filière ont déjà eu lieu. Elles ont consisté en la sélection de jeunes diplômées, ingénieures, techniciennes marocaines qui étaient motivées, après qu’on leur ait présenté le projet, pour participer à des formations sur diverses solutions low-tech solaire. Concrètement, il s’agit de cuiseurs solaires et de séchoirs solaires.
Sur les images de droite (diapo page 3), vous pouvez voir la première formation que l’on a fait au Maroc il y a quelques mois. Ces femmes ont été formées à la fabrication de ces cuiseurs mais ont également reçu des apprentissages théoriques autour du solaire. Elles ont également été sensibilisées au changement climatique et aux enjeux auxquels le monde doit faire face. Ces formations ont eu lieu au nord et au sud du Maroc et une deuxième partie de la formation, qui aura lieu en septembre, traitera des séchoirs solaires. Une fois les formations achevées, une partie des bénéficiaires de ces formations sera sélectionnée selon leurs appétences, leurs motivations ainsi que selon des tests de connaissances, de capacités scientifiques, de gestion d’outils biotique, et autres recueillies pendant ces formations. Dix de ces bénéficiaires sélectionnées deviendront les « Ambassadrices du solaire » au Maroc et seront accompagnées pour créer des coopératives. Ces coopératives, une fois créées, auront pour raison d’être, de fabriquer les solutions sur lesquelles les Ambassadrices ont été formées (des cuiseurs et des séchoirs solaires) puis de les disséminer dans des coopératives agricoles, des TPEs, etc, au Maroc. Elles feront également une sensibilisation sur les enjeux climatiques et les enjeux de genre, qui sont grandement portés par notre porteur de projet WECF.
Ce projet s’insère dans la dynamique du territoire marocain, dans son modèle économique, qui est en grande partie basé sur les actions des coopératives, c’est-à-dire la structuration de groupements de personnes avec des valeurs communes. Ces coopératives au Maroc sont essentiellement féminines, et on en compte 5800 au Maroc dans des territoires ruraux essentiellement. Une partie non négligeable de ces coopératives sont axées sur des activités agricoles. Ce projet FAREDEIC s’insère dans ce modèle économique du territoire marocain qui peut sûrement nous apporter un enseignement majeur. Il est vrai que nous parlons de formation par un Institut français, par des entreprises françaises qui vont apporter des bases scientifiques et des conceptions sur des solutions solaires low-tech vers les pays du sud. Mais on peut également relever un grand enseignement du modèle économique du territoire marocain basé sur des coopératives, qui elles, ne sont pas seulement basées sur la recherche du profit mais également sur des valeurs communes de développement économique durable et de protection de l’environnement.
Pour être un peu plus précis sur le modèle économique marocain, vous pouvez observer (diapo page 5) des graphiques qui représentent la part des emplois féminins et masculins dans l’agriculture au Maroc. En haut à gauche vous avez cette part d’emploi au Maroc en 1991, on peut y observer qu’en cette année 1991 il y avait 43% d’hommes actifs qui travaillaient dans l’agriculture pour 36% de femmes. En comparaison, en 2017 on constate 13% de baisse en ce qui concerne la part des emplois masculins dans ce secteur, et 20% d’augmentation concernant la part de femmes dans l’agriculture. Ces observations mettent en évidence une dynamique majeure d’implication des femmes dans les métiers agricoles, qui est en plus poussé par le projet FAREDEIC. Ces développements leur permettent d’assumer leur rôle grâce à des solutions agricoles et de gestion des cultures sobres, durables avec également un plaidoyer de genre dans ces actions et dans cette dissémination.
Ce projet s’insère aussi en réponse à des menaces auxquelles fait face le modèle économique marocain, en particulier dans la partie sud du territoire marocain où le territoire, qui est constitué en grande majorité de la biosphère de l’arganeraie, est en péril. La cause en est une industrialisation de plus en plus croissante qui tire sur les ressources, notamment en eau et en bois, et qui provoque une déforestation, particulièrement en ce qui concerne ces arbres endémiques du Maroc que sont les arganiers. Cette industrialisation, couplée à la surexploitation, provoque également un effet de moindre reconnaissance du rôle des femmes dans ces régions, qui portent pourtant des savoir-faire ancestraux sur la culture de l’argan, et sur toutes les déclinaisons de cette culture comme la production d’huile d’argan.
Ce projet est donc basé essentiellement sur le développement de ce modèle économique lié au développement durable et au réchauffement climatique avec une insertion des femmes et une émancipation de leur rôle. Dans ce cadre, nous utilisons en tant que fil rouge des solutions low-tech qui vont leur permettre d’assurer ce développement grâce à ces cuiseurs, ces séchoirs. Ces solutions sont considérées comme low-tech, parce qu’on répond aux grands principes du low-tech, même s’il est vrai que la définition du low-tech est toujours un peu mouvante, qu’il n’y en a pas de définition stable, les acteurs ayant souvent leurs propres définitions. Personnellement je vais reprendre celle qu’avait présenté Mme Bert, fondée sur 3 piliers : utilité, accessibilité, durabilité. Sur cette diapositive (diapo page 8), on peut voir dans quels sens ces solutions développées à l’occasion du projet FAREDEIC répondent à ces piliers.
D’abord, ces solutions disposent d’une réelle utilité sanitaire. Il faut savoir que 66% de la population mondiale n’a pas accès à des combustibles et technologies propres pour cuisiner. D’autre part, on recense 1,6 millions de décès par an liés à la pollution de l’air intérieur, ce dernier chiffre étant grandement causé par la cuisine au gaz ou au bois dans les maisons. De ce fait, ces cuiseurs et séchoirs solaires sont de réelles solutions face à ces enjeux sanitaires. On relève également un impact environnemental certain, notamment en ce qui concerne la biosphère de l’argan. Comme je le précisais plus tôt, la déforestation reste une menace importante et les cuiseurs solaires permettent une économie de bois considérable grâce à une cuisson basée à 100% sur l’énergie solaire. Ce qui induit également une résilience au regard des combustibles utilisés. Il y a enfin une utilité sociale, puisque ces coopératives vont permettre de créer de l’emploi, la fabrication de ces cuiseurs et de ces séchoirs entraînant un besoin de main d’œuvre.
Ces solutions sont accessibles en termes technique et économique. D’abord parce qu’elles sont pensées pour être simples dans leur fabrication. Il faut savoir que sur les formations de cuiseurs et de séchoirs solaires, les femmes n’ont besoin que d’une semaine de formation à la fabrication. Au terme de cette semaine, elles doivent être capables de reproduire ces solutions et de pouvoir être autonomes dans leur fabrication et leur utilisation. Il y a une réelle appropriation du savoir technique de ces solutions pour qu’ensuite elles puissent être répliquées et disséminées à plus grande sur le territoire. Ces solutions sont également accessibles économiquement avec des matériaux simples et des principes élémentaires de fabrication.
Ces solutions sont également durables, la source énergétique est fiable et parfaitement adaptée au climat nord-africain, avec un ensoleillement et une irradiance qui est forte et régulière. Par ailleurs, la maintenance de ces solutions est également simple et les matériaux utilisés peuvent être issus de la récupération, être substituables et être trouvés sur place, tout comme les outils. Voilà un peu en quoi ce projet répond aux 3 piliers du low-tech.
Pour conclure, je voudrais dire que la conception, la fabrication et la dissémination de ces solutions simples et low-tech, répondent à un besoin critique et essentiel de ces territoires et cela nous permet d’être un catalyseur, un facilitateur pour un développement équitable et durable du territoire. Donner des exemples concrets comme celui de développement de solutions simples et durables qui permettent d’avoir un impact fort sur l’économie, la solidarité et le développement durable et équitable d’un territoire permet d’augmenter la désirabilité de ces solutions low-tech. Je vous remercie pour votre attention !
Pierre Massis : Modérateur
Merci beaucoup, c’est passionnant ! Ce qui est intéressant c’est que l’on revient sur la problématique présentée par Mr Lardic, à savoir le partage de la valeur ajoutée. Qu’est-ce que l’on fait de cette valeur ajoutée ? Avec le modèle coopérative, le problème ne se pose pas puisque cette valeur ajoutée est d’une part partagée entre les différents actionnaires de la coopérative, et d’autre part réinvestie dans l’outil de production pour permettre justement de diffuser encore plus. D’ailleurs c’est aussi ce sujet-là que Mme Bernard-Leoni portait précédemment, c’est à dire que lorsque que l’on fait cette synthèse entre low-tech et high-tech, tout ce qui est gagné du côté des high-tech peut basculer dans le développement des low-tech et dans la formation des partenaires.
J’aime beaucoup aussi, ce sujet des instruments solaires, séchoirs ou fours, qui permettent de délivrer un message : celui de la sensibilisation sur les enjeux climatiques mais aussi de la sensibilisation sur les enjeux de genre. On en voit bien le résultat puisqu’il y a de moins en moins d’hommes qui travaillent dans l’agriculture, est-ce qu’il faut s’en réjouir je ne sais pas, mais quoiqu’il en soit c’est une véritable résultante.
C’est un travail très porteur effectivement, des populations travaillant avec les ressources locales, avec un savoir-faire qui a été exporté mais que les agricultrices locales se sont approprié, c’est vraiment crucial et la formation est là pour ça. Elle doit permettre de donner aux populations la capacité de concevoir, de fabriquer leurs propres solutions, puis celle de les diffuser et de diffuser la formation et l’apprentissage autour de ces savoir-faire.
Pour prendre connaissance de la présentation de Monsieur Dury, c’est par la