Après la partie dédiée aux solutions territoriales en Méditerranée, nous poursuivons aujourd’hui la vision que procure l’expertise entrepreneuriale, avec, en troisième présentation, une solution très originale qui met en avant à la fois l’innovation d’usage et l’innovation portant sur le modèle de fabrication.
Nous poursuivons donc les présentations de la dernière session d’interventions du second webinaire, qui s’est tenu le 29 avril dernier autour de la ressource énergétique en Méditerranée.
Pour mémoire, le webinaire du 29 avril est le second d’une série de quatre, destinés à traiter de la rareté de ressources emblématiques de la Méditerranée, mais aussi des solutions, traditionnelles comme innovantes, qui s’appliquent à la recherche, à la conservation et à une gestion optimisée de celles-ci. Les trois ressources que l’AVITEM a décidé d’examiner sont l’eau, l’énergie et les déchets et, parmi les solutions, notamment celles qui feront l’objet du quatrième webinaire (le 1er juillet), celles qui ont principalement recours à la basse technologie.
Intervention de Claire Le Ster – Lagazel, start-up fabrication de lampes et de kits solaires par les acteurs locaux
Merci pour cette invitation.
Je vais vous présenter Lagazel, une entreprise franco-africaine et également le premier fabricant de produits qualitatifs fonctionnant à l’énergie solaire sur le continent africain. La société a été créée par deux frères, Arnaud et Maxence Chabanne, en s’appuyant sur l’expérience d’Arnaud qui a vécu pendant une quinzaine d’année au Burkina Faso. A l’époque, il avait lancé une entreprise locale nommé « CB Énergie » qui intervenait dans ce domaine, avec la réalisation d’installations solaires telles que du pompage solaire, par exemple. Il avait commencé à fabriquer localement des petites lampes solaires à partir d’anciennes lampes à pétrole qu’il collectait et transformait. Il avait vendu de cette façon plusieurs milliers de lampes en Afrique de l’Ouest, mais le modèle restait assez artisanal. Son objectif, en se rapprochant de son frère Maxence qui avait repris la direction de la PME familiale et industrielle française, était ainsi de pouvoir changer d’échelle pour arriver à un modèle plus industriel pour fabriquer des produits solaires de qualité et localement en Afrique.
Dans un premier temps, ils ont conçu une gamme de petits produits à énergie solaire à usage individuel tels que des petites lampes solaires portables pour l’éclairage et la recharge de téléphone portable. Ce sont des lampes qui sont conçues en métal parce que c’est un matériau que l’on peut transformer assez facilement sur place sans avoir besoin de beaucoup d’énergie et qui est également recyclable en fin de vie. Les lampes ont été conçues selon les standards de qualité internationaux pour pouvoir faire concurrence aux autres produits qui sont importés d’Asie et ainsi être compétitifs sur le marché. En plus des lampes solaires, nous produisons également des kits solaires domestiques. Ce sont des boîtiers qui contiennent des batteries alimentées par un panneau solaire et qui permettent de fournir en énergie plusieurs ampoules et des petits équipements 12 volts tels que des ventilateurs, des télévisions…
Ici (diapo page 4), vous pouvez voir une solution innovante qui a été développée en 2018 en réponse aux besoins du marché. Nous travaillons régulièrement avec des ONG qui portent des projets de développement et qui nous font remonter leurs besoins. Nous avons donc développé cette solution qui n’est pas tellement une innovation technique mais surtout une innovation d’usage. La lampe solaire au lieu d’être fournie avec un panneau solaire individuel, est fournie avec une station de charge collective qui permet de charger simultanément 40 lampes solaires. Cette solution permet aussi de garder un contrôle sur les lampes, puisqu’elles doivent nécessairement revenir à la station pour être rechargées, ce qui en fait une solution particulièrement adaptée pour les écoles. A cet effet, nous installons la station à l’école et le panneau solaire sur le toit, et les lampes sont mises à disposition des écoliers soit gratuitement, soit par un système d’abonnement ou de cotisation. Ainsi les élèves peuvent bénéficier d’un éclairage pour faire leurs devoirs le soir, pour rentrer chez eux en sécurité et parallèlement le matériel reste la propriété de l’école et nous pouvons nous assurer que la lampe est bien utilisée puisqu’elle doit revenir chaque jour au point de charge pour pouvoir fonctionner.
Cette innovation d’usage s’accompagne de l’innovation du modèle de fabrication puisque nous fabriquons nos produits au Burkina Faso depuis 2016. À ce jour, ce sont près de 70 000 produits à énergie solaire qui ont été fabriqués dans ce pays. Pour revenir au modèle, nous développons d’abord nos produits en France : nous identifions les fournisseurs des différents composants et nous en vérifions la qualité sur notre plate-forme à Saint-Galmier avant l’expédition. Ensuite les composants sont envoyés vers nos ateliers africains et sur place, la transformation des pièces métalliques, et de tout ce qui est opérations de soudure, assemblage, contrôle qualité sont réalisées. Ce modèle nous permet de participer au développement de l’économie locale et de créer des emplois localement. En termes d’offre, le modèle est aussi construit pour être proche du marché et pour pouvoir apporter un service après-vente de proximité. Concernant le service après-vente, il ne s’agit pas simplement d’une garantie destinée à remplacer le produit à l’identique quand il est défectueux, mais également de valoriser la réparation pour prolonger la durée de vie des produits. Cette valorisation permet d’éviter la multiplication des déchets solaires, qui est en forte croissance sur le continent africain.
Pour terminer avec ce point sur la fabrication, nous sommes actuellement en train d’ouvrir un second atelier de fabrication à Porto Novo au Bénin. Nous avons mis en place un atelier clés en main que nous appelons L-Box et qui permet d’installer rapidement et facilement un nouvel atelier de fabrication dans un pays. L-Box contient tout ce qui concerne le savoir-faire : les lignes de production, la formation, les guides de production des produits, en fait tous les éléments qui vont être nécessaires pour lancer la fabrication. C’est un atelier qui peut fonctionner en toute autonomie, qui peut être alimenté par le solaire car il n’a pas besoin de beaucoup d’énergie, ce qui permet de l’implanter dans n’importe quelle zone pour entamer les activités d’assemblage des produits à énergie solaire.
Forts de notre savoir-faire et de cette expérience sur la fabrication de petits produits solaires, nous proposons aux acteurs du secteur solaire, mais également à d’autres secteurs, des services de sous-traitance industrielle en Afrique. L’idée consiste à développer la valeur ajoutée locale des produits qui sont distribués en réalisant de plus en plus d’opérations localement. Cela peut aller de simples opérations d’assemblage à l’adaptation de certains composants pour pouvoir les fabriquer localement. Ainsi nous développons actuellement des partenariats avec le secteur de la réfrigération et celui de l’électroménager pour pouvoir fabriquer localement soit des nouveaux produits que nous allons développer à partir de zéro, soit des produits qui sont actuellement fabriqués en Chine et que nous aimerions demain pouvoir fabriquer sur place.
Comme je l’ai précisé, nous sommes surtout présents en Afrique de l’Ouest avec deux ateliers de fabrication au Bénin et au Burkina ainsi que des points de distribution dans plusieurs autres pays d’Afrique de l’Ouest.
Je reste disponible si vous avez des questions, n’hésitez pas.
Pierre Massis : Modérateur
Merci beaucoup Mme Le Ster, nous sommes sur une co-construction, un co-développement local puisque les principaux composants sont sourcés en France pour être assemblés voire même développés en Afrique. Mais nous avons bien compris que le marché reste local, et qu’il ne s’agit pas de faire de l’Ouest du continent africain l’atelier de l’Europe ?
Claire Le Ster – Lagazel, start-up fabrication de lampes et de panneaux solaires par les acteurs locaux
Oui tout à fait, le marché reste local. Nous distribuons essentiellement en Afrique. Nous exportons légèrement de l’Afrique de l’Ouest mais essentiellement vers la région. Après il est vrai que ce projet nous a aussi ouvert un marché français et européen, puisque nous avons eu des demandes sur ces produits pour le marché français. Cependant, nous restons dans l’optique de fabriquer au plus proche des marchés de distribution : donc ce que nous distribuons en France, nous le fabriquons en France et ce que nous distribuons en Afrique, nous le fabriquons en Afrique.
Pierre Massis : Modérateur
D’accord, c’est un peu le modèle de Dacia qui fabriquait des voitures low-cost pour les pays de l’Est de l’Europe et dont le succès a été tel que le marché a été rapatrié.
Je vous remercie vraiment pour votre participation à notre webinaire. Ce que je retiens concerne beaucoup l’innovation d’usage. Ici il s’agit vraiment d’une maîtrise et d’une réduction importante de l’empreinte carbone des déchets par le fait de devoir rapporter sa lampe pour pouvoir la recharger. L’exemple que vous avez pris est d’ailleurs extrêmement significatif : le fait que ce soit au sein d’une école permet de créer une sorte d’habitude contextuelle, de continuer à développer le collectif et de faire en sorte que l’écolier soit en quelque sorte obligé d’aller à l’école si la famille veut continuer à bénéficier de cette lumière bien commode et à bon marché. Je trouve cette conception extrêmement intuitive, l’innovation produisant ainsi de l’innovation. Elle se construit sur le produit, puis sur le modèle de fabrication ; l’innovation d’usage qui vient s’y adjoindre ajoute une vraie pertinence à cette solution. Merci beaucoup pour cette réflexion avancée.
Pour prendre connaissance du support de présentation de C. Le Ster, c’est par là