Alexandrie

EGYPTE

«NOUS ESSAYONS DE PRÉSERVER LES ANCIENS IMMEUBLES QUI CONSTITUENT LE PATRIMOINE DE LA VILLE »

Zyiad El Sayed,
Du Département Ingénierie de l’Université d’Alexandrie.

Alexandrie est une des villes les plus anciennes d’Egypte. Créée en 332 av. J.-C. par Alexandre le Grand, capitale vibrante de l’Egypte, et port méditerranéen majeur, Alexandrie est devenue, dans l’histoire moderne de l’Egypte, une plaque tournante de l’industrie et du commerce. C’est avec le règne du réformateur Méhémet Ali (1804 – 1849) que, dans une dynamique de modernisation, une large vague de migration européenne a permis l’introduction de l’architecture occidentale en Egypte. Les mélanges architecturaux cosmopolites riches et uniques d’Alexandrie en font un véritable témoignage de plusieurs époques.

Aujourd’hui, ce patrimoine architectural disparait. Abandonnés, dégradés, volontairement détériorés ou détruits par leurs propriétaires, les bâtiments classés au patrimoine national, communal ou local représentent aujourd’hui un véritable enjeu culturel majeur.

La loi 144/2006 a permis la création de deux comités dont la tâche a été de répertorier tous les bâtiments d’Alexandrie ayant un « style d’architecture remarquable », étant « lié à un évènement national ou un personnage historique », illustrant « une période historique » ou, enfin, présentant « un intérêt touristique ». Ainsi, 1135 immeubles du centre-ville d’Alexandrie ont été classés au patrimoine national, communal ou local, frappés par conséquent d’une interdiction de démolir. Cette mesure, prise de façon verticale, n’a pas été accueillie favorablement par les propriétaires de bâtiments classés. Aujourd’hui, sur les 1135 immeubles répertoriés, plus de 1000 d’entre eux risquent d’être déclassés en appel. Des lacunes de la loi 144/2006 ainsi que de profondes divergences entre politiques publiques et propriétaires privés mettent en danger le patrimoine architectural de la ville. D’après l’association Save Alex, 36 bâtiments historiques ont été démolis depuis 2011, illégalement ou après avoir été déclassés, à l’instar de la Villa Aghion, construite en 1926 par le célèbre architecte Auguste Perret et détruite à 80% avant d’être récupérée par le Gouvernement Egyptien par expropriation.

Les lois qui réglementent les liens entre propriétaires et locataires accélèrent également le processus de dégradation des bâtiments classés. Interdiction d’expulsion, gel des loyers, baux transmissibles aux générations suivantes, privent les propriétaires privés de maximiser les bénéfices de leurs biens immobiliers. On observe ainsi des cas de détérioration et de destruction volontaires des immeubles afin d’en faire partir les locataires, de les faire déclasser, ou d’autoriser leur démolition pour péril éminent. S’ajoutent à cela une grosse spéculation immobilière, une expansion incontrôlée de la ville, un manque de volonté politique ainsi qu’un désintéressement assez général de ce patrimoine moderne en faveur d’un patrimoine antique plus attractif pour les touristes.

Il apparait donc urgent de mettre en place un plan de gestion durable du patrimoine bâti à Alexandrie dans lequel les propriétaires du secteur privé, ainsi que leurs intérêts économiques, soient pris en compte. En effet, la situation économique suivant la démission du président Hosni Moubarak en 2011, met de côté la possibilité que le secteur public puisse acquérir ces immeubles et les préserver. Ainsi, il est indispensable de créer des leviers permettant que la restauration et la conservation de ce patrimoine soient économiquement aussi rentables que la vente d’un terrain à bâtir, et de cette façon apaiser les tensions existantes entre la nécessité de préserver le patrimoine architectural et les propriétaires privés de bâtiments classés.

La réutilisation adaptative est la stratégie suggérée pour promouvoir de tels bâtiments.

Le projet de protection et de réhabilitation du patrimoine architectural du centre-ville d’Alexandrie (présenté par Zeyad El Sayad lors de la Conférence Annuelle 2018 du Réseau des Aménageurs de la Méditerranée les 17 et 18 décembre à Marseille)

Le projet a principalement deux objectifs distincts :

  • Présenter le concept de la réutilisation adaptative comme un exemple de premier plan et un modèle d’affaires réussi qui puisse être mis en œuvre dans la plupart des bâtiments patrimoniaux classés.
  • Choisir une rue pilote afin de restaurer les façades des bâtiments, améliorer l’aménagement urbain et les éléments du paysage urbain

Pour atteindre ces objectifs, le projet s’engagera sur deux voies parallèles.

La rue Fouad, d’une longueur d’environ 1,4 km, sera choisie pour commencer les travaux de restauration des façades du bâtiment et l’installation d’un éclairage de façade. La rue sera étudiée en profondeur avec le tissu adjacent et environnant afin de créer un plan d’urbanisme complet. Les bâtiments publics sélectionnés seront l’objet d’études pilotes et seront rénovés et réutilisés de manière adaptative afin de démontrer toute l’étendue et les capacités de la réutilisation.
Différentes techniques de rénovation seront appliquées, allant de la préservation de la façade et de la démolition de la structure interne et de la construction d’un nouveau bâtiment à l’intérieur, à la réutilisation traditionnelle de la reconfiguration de l’espace. Des bâtiments industriels et des entrepôts commerciaux anciens et abandonnés pourront être transformés en centres culturels et en espaces d’art, ainsi qu’en espaces de travail commun et en petits parcs industriels générateurs de profits.

Bibliographie

Ahmed Hassan Mustafa (2015). Entretien. Faire Savoir n°12. Disponible ici.

Borg Yomna et Said Lama (2017). Public perception and conservation: the case of Alexandria’s built heritage ». Heritage in action: making the past present.

Direction Générale du Trésor (2018). Les enjeux de la rénovation des centres villes du Caire et d’Alexandrie. Disponible ici.

Elsorady Dalia A. (2011). Heritage conservation in Alexandria, Egypt : managing tensions between ownership and legislation. International Journal of Heritage Study. Disponible ici.

El Kadi Galila (2009). Les enjeux du patrimoine moderne en Égypte », Égypte/Monde arabe. Disponible ici.

Zarée Samar (2015). Alexandrie : l’héritage en désuétude. Hebdo Al-Ahram.

Zarée Samar (2015). Mohamad Awad : Le centre n’a pas de prérogative pour contrôler la municipalité. Hebdo Al-Ahram.